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Dosette de lecture n°96 : Voltaire : De l'horrible danger de la lecture Où est le vrai danger ?

Publié le par Eric Bertrand

Quel effet la lecture peut-elle avoir sur des citoyens ? La question est ressassée et filtrée à travers les diverses représentations que peuvent en avoir ceux qui s’en méfient. Nous avons déjà tremblé à la lecture du roman « 2084 » de Boualem Sansal et du régime mis en place par des fous de Dieu en Abistan.

Trois siècles plus tôt, Voltaire choisit la voie de l’ironie en intitulant joliment son texte : « De l’horrible danger de la lecture ». Il y rapporte la parole d’un sinistre muphti nommé « Joussouf-Chéribi du Saint-Empire ottoman » qui s’autoproclame « Lumière des lumières, élu entre les élus ». Cet inquiétant personnage s’alarme du « pernicieux usage de l'imprimerie » et déclare la guerre à cette « infernale invention » pour les raisons suivantes :

D’abord, la lecture tend « à dissiper l'ignorance, qui est la gardienne et la sauvegarde des États bien policés ».

Ensuite, les livres venus d'Occident pourraient influencer les agriculteurs du pays ottoman et les aider à mieux cultiver la terre et le fameux « jardin ».

Troisièmement, les livres d'histoire « dégagés du merveilleux qui entretient la nation dans une heureuse stupidité » auraient pour fâcheux effet de « recommander l'équité et l'amour de la patrie, ce qui est visiblement contraire aux droits de notre place ».

Quatrièmement, « de misérables philosophes, sous le prétexte spécieux, mais punissable, d'éclairer les hommes et de les rendre meilleurs, viendraient enseigner des vertus dangereuses dont le peuple ne doit jamais avoir de connaissance ».

Cinquièmement, ces mêmes individus philosophes pourraient encourager l’essor de la raison et, ce faisant, détourner la foi et ainsi « diminuer le nombre des pèlerins ».

Sixièmement, la lecture « des auteurs occidentaux qui ont traité des maladies contagieuses, et de la manière de les prévenir », pourrait bien protéger les fragiles humains des dangers des maladies contagieuses, « ce qui serait un attentat énorme contre les ordres de la Providence ».

Fort de cet incontestable raisonnement, notre sage mufti conclut ainsi son appel au peuple : « A ces causes et autres, pour l'édification des fidèles et pour le bien de leurs âmes, nous leur défendons de jamais lire aucun livre, sous peine de damnation éternelle. » Et pour donner davantage de poids à son décret, il encourage les honnêtes citoyens à dénoncer les contrevenants et les menace d’un châtiment à la mesure de « l’horrible danger de la lecture ».

Dosette de lecture n°96 : Voltaire : De l'horrible danger de la lecture Où est le vrai danger ?
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