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ecriture et reecriture

Questionnement pour l'année à venir : "poissons morts"

Publié le par Eric Bertrand

« Poissons morts, qui descendez le cours des fleuves, poissons morts… »  

             Tu sortais à peine de la lecture de Saint-Exupéry : « On n’hérite pas la terre de nos ancêtres, ils nous la prêtent pour que nous la préparions à nos enfants » et des paroles du chef indien Sitting Bull citées dans un petit opuscule pour la jeunesse : « Quand ils auront coupé le dernier arbre, pollué le dernier ruisseau, pêché le dernier poisson, alors ils s’apercevront que l’argent ne se mange pas ». Tu n’avais pas encore lu Pierre Rhabi et les concepts de réchauffement climatique, de développement durable ou de préservation des richesses n’étaient pas encore formulés. On ne parlait pas encore de gaz de schiste, de pollution aux particules, d’effet de serre, de circulation alternée… Mais la conscience de la beauté des grands espaces s’éveillait. Ce n’était pas nouveau, et, plus d’un siècle plus tôt, déjà,  pour échapper à la pollution des villes, le poète Alfred de Vigny roulait « sa maison du berger ». « La distance et le temps sont vaincus. La science trace autour de la terre un chemin triste et droit. Le monde est rétréci par notre expérience et l'équateur n'est plus qu'un anneau trop étroit ».

             L’Amoco Cadiz qui causerait ta première indignation n’avait pas encore sombré. Tu portais des culottes courtes et, « bon petit diable, la jambe légère et l’œil polisson », tu jouais de la canne à pêche dans une petite rivière de Bourgogne. Un jour, Julien Clerc chante « poissons morts » et tu ne comprends pas tout… Mais ça te plaît, à cause de la musique et des poissons. C’est frais, enlevé, joyeux, comme l’air du temps. « Poissons morts, qui descendez le cours des fleuves, poissons morts… »  Il y avait toujours, là où tu plongeais l’hameçon, des truites et du goujon. Ton grand-père se mettait de la brillantine sur les cheveux ; ça les faisait briller. Il ressemblait aux images colorées des vieux salons de coiffure, à cette époque où les hommes avaient des airs de toréadors ou de chanteurs de rockabilly. Toi, tu n’avais pas droit à la brillantine. Produit réservé aux adultes ! Du haut de l’étagère, ça jetait des reflets verts, des reflets bleus... Mais, sitôt sorti du flacon, le liquide laissait des tâches dans l’eau du lavabo, un peu comme les flaques de pluie dans les stations service… « La graisse de mitrailleuse, n’est pas la brillantine des dieux ».

             « La pollution » s’étendait sournoisement sur la planète, les usines crachaient leurs fumées et leurs produits toxiques dans les rivières, les pétroliers malades vomissaient dans l’océan. Torrey Canyon, « cent vingt milles tonnes de pétrole brut », « Amoco Cadiz » « Vers où court l’humanité ? Mais quel monde allons-nous laisser ? Tant pis pour les côtes bretonnes et quelques oiseaux mazoutés ». « Je suis un pêcheur de Portsall et mes oiseaux crèvent tout sales »…. Tu avais vu l’adaptation au cinéma de « la Planète des Singes » avec Charlton Heston… L’image finale t’épouvantait. Johnny, sur l’air lancinant de la septième de Beethoven, récitait un texte de Philippe Labro : « Qui a couru sur cette plage ? Elle a dû être très belle. Est-ce que son sable était blanc ? Est-ce qu’il y avait des fleurs jaunes dans le creux de chaque dune ?... ça a vraiment existé ? ». Georges Moustaki évoquait au passé un jardin merveilleux : « Il y avait un jardin qui s’appelait la terre »…

Et en 2017, que reste-t-il du jardin et de la rivière ?

             Poissons morts qui descendez cette rivière allez donc dire à mon amour que je me perds en longs discours »…

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Le retour de Kérouac sur la scène (2/2)

Publié le par Eric Bertrand

 

 

Pour autant, il ne s’agit pas de reprendre le même texte. Le contexte n’est pas le même et la conception scénique a évolué. La pièce qu’on avait montée en Bretagne durait plus d’une heure trente et convenait à un spectacle de soirée. Elle était le résultat d’un atelier d’écriture très exigeant qui impliquait un scénario et des références aux textes de Kérouac et aux autres influences de l’auteur. Elle se déroulait sur trois actes et, comme mes partenaires animaient des ateliers de claquettes, d’anglais et de musique, elle impliquait également une réalisation scénique très particulière. Par ailleurs, l’écriture était également tributaire de la distribution...

                Cette année, les éléments de base sont sensiblement différents même si l’esprit et l’envie restent les mêmes. Bon groupe, bel enthousiasme et belle collaboration avec une professionnelle (que j’ai rencontrée plusieurs fois en amont du projet)... Il s’agit surtout de concevoir un spectacle qui durera moins de trente minutes. Même si des passages de « Jack, on the route again ! » reprendront vie cette année, nous avons commencé des impros qui nourriront l’écriture d’un ouvrage sensiblement différent, mais tout comme l’autre, hymne au voyage.

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Le retour de Kérouac sur la scène (1/2)

Publié le par Eric Bertrand

 

 

Fin provisoire des perspectives bretonnes, mais que les lecteurs se rassurent, j’y reviendrai et d’autres articles plus précis sont en gestation... Du reste, le sujet à venir n’est pas non plus étranger à la Bretagne puisque l’auteur auquel je vais m’intéresser sur la scène, même s’il est connu pour être un Américain, revendique ses origines bretonnes. Il s’agit de Kérouac.    

                Le lecteur de ce blog sait que j’ai déjà travaillé sur cet auteur en 2000, au moment de la création de l’atelier d’expression artistique que je dirigeais en Bretagne. Il se trouve que, alors que cet été on a beaucoup parlé dans les médias de Kérouac (notamment du fait de l’exposition du manuscrit de Sur la route à Paris et de la sortie du film au festival de Cannes puis dans les salles), je trouve que son œuvre interpelle toujours nos lycéens.

                Nous voilà donc repartis « Sur la route » dans le cadre d’un nouvel atelier qui a commencé fin septembre au lycée. J’y reviens demain.

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Aznavour au salon du Livre de Ré (2/2)

Publié le par Eric Bertrand

 

 

             Ils ont été nombreux à chanter l’ile de Ré. « Dans l’ile de Ré, ma belle adorée, je t’emmènerai... ». C’est pourtant la première fois que l’interprète de « Trousse chemise » vient sur les lieux de la chanson ou plutôt « à proximité ». Le désormais mythique site de Trousse chemise est en effet éloigné du Bois-Plage. « Le petit bois de Trousse chemise » et sa « plage déserte (!) » se trouve tout au bout de l’ile, du côté des Portes et du phare des Baleines que chante aussi l’ami Nougaro. Quant à « Merde à Vauban », c’est de l’autre côté, vers Saint-Martin, « sur l’ile de Ré, j’mange du pain blanc... », n’est-ce pas Léo ? Mais ces deux là, Ferré et Nougaro, il faut même pas y compter... « Bagnard, le temps qui tant s’allonge, dans l’ile de Ré »...

                « Je fuirai laissant là mon passé sans aucun remords sans bagages et le cœur libéré en chantant très fort »... Aznavour, lui, ne chante pas ce matin... « Hier encore... »

                Derrière ses lunettes noires et secondé d’un auxiliaire qui lui répète le nom de la dédicace, il soulève la plume d’une étrange mouette que « le temps a dévasté ». La mer est-elle grise ? L’est-il aussi ? Pas de plage déserte, de robe légère, de verre de vin renversé ni de vrai muscadet...

                Mais dans le désordre et le piétinement, au fil de la longue queue et sous le nez des autres écrivains définitivement délaissés (« il pleut sur la plage des mortes saisons »), les paroles des chansons d’Aznavour frémissent, font bouger puis rouler le sable... Dans l’enceinte de la plage et de la mémoire, des airs reviennent, des scènes se colorent, brillent en même temps que la marée... « Non, je n’ai rien oublié... dans le petit bois de Trousse chemise, on fait des bêtises souviens-toi nous deux ! »

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Des examens « pour rire » ou le rire, sujet d’examen... (3/3)

Publié le par Eric Bertrand

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Cette disposition du rire qui vise à rassembler les rieurs aux dépens d’un bouc émissaire (un dindon de farce) est examinée à la loupe par le moraliste La Bruyère. Il s’agit, pour ce connaisseur de l’âme humaine, d’isoler (comme le font aussi très bien d’autres moralistes comme La Fontaine et Molière) des groupes sociaux constitués, de petites républiques, (précieuses, bourgeois, femmes savantes, apprentis Trissotin...) et d’analyser le type de rire qui les secoue en grappes et qui les constitue en meute autour d’un noyau dur, intraitable, aux dépens d’un intrus providentiel, objet de la curée des rires. On ne trouve rien de bien dit ou de bien fait que ce qui part des siens.

                Comme les deux auteurs précédents, Axel Kahn constate la férocité du rire. Il existe toute une gamme de mises en cause des personnes par le moyen du rire. Cela génère chez « les victimes » un malaise profond : ils se sentent par là d’autant plus gravement bafoués dans leur dignité que la dérision s’accompagne d’une vacuité émotionnelle. Au-delà de l’indignité d’un tel rire qui, d’une certaine façon, abolit l’humanité du « roseau pensant », l’auteur souligne sa force « décapante », « ravageuse ». La déférence, la peur, l’attachement passionnel, voire l’adoration, ne résistent pas à l’éclat de rire... Par la grâce du rire, l’homme prend ses distances par rapport à ces forces obscures qui pourraient l’écraser.

                De la même façon, Dominique Noguez insiste sur cette nuance du rire que constitue l’humour. L’humour est une médiation qui implique de la part de celui qui l’utilise à la fois « subtilité » et « impassibilité » et qui s’accompagne d’une mise à distance de la pulsion du rire et de la chose dont on rit. L’humour est contre le rire en ce qu’il est une manœuvre pour s’en protéger. On a vu que le rire pouvait être dangereux et devenir la manifestation relativement agressive d’une sanction collective. L’auteur fait d’ailleurs référence à Bergson à propos de qui il écrit : c’est une des manières dont la société entend corriger- Bergson dit même châtier - la raideur ou l’inadaptation de ses membres. Pour échapper au « lynchage » du rire, l’humour opère à la façon d’un « paratonnerre » et empreinte la mine du « sérieux » pour rire sous cape.   

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