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Les indignés, la cognée, la corde et les marionnettes, fable linguistique

Publié le par Eric Bertrand

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                Petite pause dans la série « Bel-Ami » pour intégrer une variation qui touche à une prochaine rubrique annoncée depuis longtemps et qui sera de nature linguistique.

 

               « Jeter le manche après la cognée »... La langue française regorge d’expressions imagées qui tracassent les étudiants étrangers, amateurs de « curiosités linguistiques ». Il faut, pour les aider, et aider aussi ceux qui, parmi nous, auraient oublié ou négligé le sens de l’idiome, raconter toute l’histoire...

            Cette expression nous amène dans la forêt. Elle met en scène un bucheron obstiné, occupé à abattre un arbre plus récalcitrant que les autres. Alors qu’il frappe de toutes ses forces, tend tous ses muscles, retient son souffle et envoie le coup, le fer de sa cognée (la partie métallique de la hache) s’échappe du manche et voltige au fond du lac voisin... Un ange passe !

             Pas « d’effet Excalibur », pas de « Dame du Lac » mais le silence de la forêt et l’arbre toujours bien dressé sur son tronc, arrogant colosse aux pieds d’argile... Défait par l’échec de l’effort et vexé par l’idée d’avoir aussi perdu son outil de travail, le bûcheron regarde ses deux poings et le manche piteux qui lui reste. Il lève les yeux au ciel, s’avance vers le lac et « jette le manche après la cognée », bien décidé désormais à occuper autrement le reste de son temps.

           Voici donc l’origine d’une expression qui fleure bon l’espace forestier et qui respire encore le goût de l’effort et du cœur à la tâche... Sauf que, quand « la cognée » fait défaut, quand le métal tombe, sonnant et trébuchant, le bucheron se trouve cruellement démuni et qu’il doit laisser tomber le reste, à savoir « le manche ».

               Bref, cette expression idiomatique traduit bien le désarroi que chacun peut ressentir, face à certaines situations désespérées. A l’heure où les mouvements des « Indignés » se répandent partout dans le monde, mouvements liés à un sentiment pire que le désarroi, l’écoeurement lié à l’impression de naufrage du mode de « cognée » de nos sociétés, il semble que le manche ou le gouvernail soit aussi « jeté » dans « l’eau du bain ».

              Et que dit-on chez les Indignés espagnols ? On ne parle ni de manche, ni de cognée mais de « corde » et de « chaudron » : la traduction  littérale sera donc : « Jeter la corde après le chaudron »... Une fois le chaudron vide, ne resterait-il que « la corde pour se pendre » ? Et en italien, on ne dit pas non plus : « jeter le manche après la cognée » mais « planter là baraques et marionnettes » (« piantare baracca e burattini »). Cette formule très pittoresque convient assez bien aux mascarades politico-financières auxquelles nous assistons à l’heure actuelle. Comment pourrait-on dire en grec ? « Jeter l’urne avant le referendum » ?

 

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J
<br /> <br /> tes éclairages sont toujours intéressants ! merci de ce partage !<br /> <br /> <br /> <br />
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A
<br /> <br /> Ce n'est pas souvent que tu "balances"...Mais là, tu le fais en passant , l'air de rien et c'est plutôt réussi! Bravo, terrible ton texte qui commence comme un exemple d'éthymologie et se finti<br /> comme un constat désabusé!<br /> <br /> <br /> Et le Guy ( de Maupassant) dans tout ça?<br /> <br /> <br /> <br />
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