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cinema

Le film « Sur la route » de Walter Salles : voyage au bout de la route... (4/5)

Publié le par Eric Bertrand

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Ce qui compte pour le réalisateur comme pour l’écrivain Jack Kérouac, c’est de saisir ces instants de folie et d’insatiable transgression, c’est de filmer le vertige et ce moment presque palpable où, selon l’expression chère à Shakespeare, « la vie sort de ses gonds ». Cette trépidation de la vie qui crée de beaux délires de mots, d’idées et d’images neuves et, en fin de compte, l’essence même de Littérature... L’Ecriture comme une ligne blanche sur l’interstate, ouvre la porte du Rêve et creuse la route (de la même façon que Proust creusait la mémoire). Elle fait émerger le mythe américain. « Quelque part sur le chemin, je savais qu'il y aurait des filles, des visions, tout, quoi ; quelque part sur le chemin, on me tendrait la perle rare ».

                C’est bien là que le roman dépasse le film... « Sur la route » s’apprécie davantage à « la qualité du pneumatique ». Certes, la caméra « cire les pneus », multiplie les loopings, les têtes-à-queues, les dérapages contrôlés : plans, horizon de routes, Rocky Mountains, fleuve Colorado, lumières de Denver la nuit, visage « solaire » de Dean en contre-plongée et gracieux minois de Marilou en plongée en pamoison dans le désordre des draps, séquences cut dans les bars, hôtels, lits, siège arrière de « carlingue », cadence de la Remington qui saisit enfin l’histoire, kilomètres de feuilles collées les unes aux autres... Le film finit par tourner en rond et lasser le spectateur qui cependant n’a qu’une hâte, lorsqu’il quitte la salle obscure, dévaler la prose de Kérouac.

 

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Le film « Sur la route » de Walter Salles : voyage au bout de la route... (3/5)

Publié le par Eric Bertrand

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Dean est un feu sur l’horizon, une figure à la fois torride et mélancolique, le « feu de croisement » de Sal qui allume, sur un coin de route, ses feux de position. Le réalisateur a choisi ce point de vue : il nous le montre captif, occupé à contempler Dean, (mauvais génie, figure idéale ?), capable de tout tenter, jusqu’au fond de l’ivresse. Finalement, Sal s’arrête au bord du précipice. Ce que Salles cherche surtout à nous montrer, c’est que Jack Kérouac veut écrire son roman à partir des expériences qu’il est en train de vivre... Que, même s’il est tenté par le bout de la route, « qu’importe, pourvu de trouver du Nouveau », il choisit de tout arrêter et de laisser s’évanouir Dean dans la nuit new-yorkaise.

                L’une des dernières images du film, très belle, c’est celle de Dean venu revoir son ami après une longue absence, Dean fatigué par la route, les nuits de débauche et de veille. Ce Dean là cède peu à peu la place au Dean que le papier ressuscite... Sal, bien habillé, un peu dandy à la Scott Fitzgerald, cette fois l’abandonne pour suivre des amis à un concert. Il embarque à bord d’une grosse Limousine et Dean reste là, hagard, sur le pavé de New-York. Mais dans la nuit qui suit la séparation, l’écrivain débridé s’empare enfin de ces brouillons qui ont ponctué son aventure et se met au travail, acharné, halluciné... travail non plus d’autostoppeur mais de mots stoppeur, d’images et de sons stoppeur...

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Le film « Sur la route » de Walter Salles : voyage au bout de la route... (2/5)

Publié le par Eric Bertrand

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Dès les premières images, c’est la route qui prend la vedette, c’est elle que tous dévalent à toute allure. La route droite qui s’enfonce vers l’ouest, la route que les sandales usées martèlent « Sandales tellement pleines de champignons que, si on les plantait, elles pourraient pousser » plaisante un autre stoppeur... Le pas de l’auto-stoppeur s’accélère, la cadence redouble, l’ombre du sac à dos gigote, la portière d’une Cadillac claque. Sal  s’installe, discute, redescend, fume un joint, lit trois pages, écrit trois mots, nouveau lift, saute à l’arrière d’un pick-up, discute avec la clique des gens de la route, « on the road ! »... Clac clac de la Remington. Le clavier saisit des mots, ce qu’ils appellent « le it », musique, rythmes, volutes, vapeur, alcool, marijuana, « substances », LSD, jazz, sexe, moteur, vitesse, tête à l’envers, jambes en l’air, noms de lieux, du côté de Denver, du côté de Frisco, Marcel Proust posé en évidence sur le tableau de bord, « Swan’s Way »...

                « My name is Sal, I’m going to Denver »... New York - Denver - San Francisco - New -Orleans - Mexico. La route accomplit une capricieuse rotation vers des lieux de promesse. Au début de l’histoire, Sal a perdu son père et Dean cherche le sien. Quête du père spirituel, quête d’une famille décomposée, sans cesse recomposée. Dans un autocar, Sal rencontre Terry, « la petite Mexicaine » et dans la voiture de Dean, c’est la vicieuse Marilou, vampire adorable (à laquelle Kristen Stewart prête ses traits et ses veines palpitantes), qui trône et impose sa loi : à bord de cet espace de fortune, un moteur entre les jambes, un volant dans les pattes et sous la jupe, tous les coups sont permis.

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Le film « Sur la route » de Walter Salles : voyage au bout de la route... (1/5)

Publié le par Eric Bertrand

 

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La silhouette de Dean Moriarty danse sur la route ouverte et la conquête de l’Ouest des Etats-Unis. Dean Moriarty est un phare allumé sur la calandre de la voiture dans laquelle Sal Paradise et sa troupe de déjantés s’enferment pour suivre un ange diabolique qui les entraîne jusqu’au bout de la nuit. Le film de Walter Salles montre cette fascination qu’exerce le personnage sur tous les proches du narrateur de Sur la route. Les syllabes du nom « Dean Moriarty », dont les lettres sonnent à plusieurs reprises tout au long du film, comportent sans doute, aux oreilles du réalisateur, un peu de cet enjeu qu’est le « beat »... « DEAN MORIARTY », alias Dean Cassidy, nocher infernal à bord d’une drôle d’embarcation, mène ses compagnons de l’autre côté du Fleuve Amériques.

                Autour de Dean et de Sal Paradise (comprenez Jack Kérouac), gravitent une joyeuse troupe de rêveurs, junkies, artistes fous, écrivains, poètes, musiciens, lecteurs passionnés de Rimbaud, Proust ou Céline. Tous avides d’expériences extrêmes, de « dérèglements de tous les sens », à l’image de Rimbaud dont l’image surgit au-dessus de la machine à écrire, tous dans cette « fureur de vivre » chère également à James Dean...

 

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Article du mois : « Titanic » en 3D : de la boite à musique au cœur de l’océan

Publié le par Eric Bertrand

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L’une des originalités et des beautés de ce film, c’est de raconter le terrible naufrage par le biais d’un personnage qui l’a vécu de l’intérieur... Une certaine Rose Dawson. Et pourtant, tout commence par l’enquêteque mène, autour de l’épave, une équipe de scientifiques qui considèrent qu’il n’y a plus de survivants pour les renseigner davantage sur les secrets engloutis. Mais le film bascule quand une très vieille dame les appelle au téléphone. Avant ce témoignage inespéré, les images somptueuses et troublantes de l’épave au-dessous de la mer (sorte de cité engloutie) alternaient avec les images clinquantes du dispositif mis en place au-dessus de la mer. Tout naturellement, désormais, derrière l’œil bleu de la rescapée qui commence son récit, le filtre de la mémoire ouvre la voie d’eau...

                La vieille dame est installée dans « sa chambre » à bord du bateau. On commence par lui raconter, avec un luxe de détails, les circonstances exactes du drame et la façon dont le Titanic a fini par sombrer... Astucieuse mise en abyme du naufrage puisque l’un des spécialistes anticipe de façon très scientifique sur ce que le film va montrer dans les deux heures qui vont suivre. C’est désormais « au tour » de la vieille dame... Au milieu des vestiges remontés à la surface, des objets, des bijoux, un miroir de conte de fée qui lui transmet brutalement « ce reflet qui a quelque peu vieilli », elle replonge elle aussi dans la chambre, se repère mieux que le sous-marin miniature, redescend les escaliers, retrouve le pont du navire et ce point névralgique de la proue où tout a commencé, où tout a fini.

                Elle fronce le sourcil. Le visage est ridé, mais l’œil bleu toujours perçant. Périscope des réminiscences, « l’odeur de la peinture fraîche » joue sur sa mémoire comme la madeleine de Proust. Elle cesse de faire effort, les images émergent,  affluent,  les visages, les sons, les couleurs. Elle n’a que 18 ans, elle embarque sur le Titanic. Promise à un riche héritier, enfermée dans une boite dorée, une boite à musique, elle n’est à l’origine qu’une poupée de porcelaine à qui son fiancé offre « le cœur de l’océan »... Le cœur de l’océan ? Un bijou d’une valeur inestimable. Un diamant mythique, pièce de la couronne que portait Louis XVI (celui que les scientifiques recherchaient avec avidité...) Un symbole de la présomption du riche héritier qui croit qu’il peut tout avec son argent : « Je suis le roi du monde ! »... Tout, sauf empêcher sa promise de se sentir gagnée par des envies d’océan ! Borné, dédaigneux, il ne veut pas admettre que Rose n’appartient pas au même monde... En effet, toute cette société d’aristocrates proustiens, de Guermantes, de Charlus, embarquée dans le vaisseau de la Mémoire, ne pèse pas bien lourd aux yeux de l’énergique jeune fille aux pulsions incontrôlables.  Ce n’est pas un hasard si, lorsque Rose cite le docteur Freud au début du film, cela énerve son fiancé qui croit que Freud est un passager du paquebot ! Lecteur du fameux docteur et très intéressé par les refoulements et les fantasmes des femmes de la bonne société guindée, l’écrivain Stefan Zweig aurait bien pu, dans ce contexte, écrire son « 24 heures de la vie d’une femme ». 

                 Ces 24 heures (ou un peu plus) sont vécues de façon d’autant plus intense que le spectateur sait que les instants sont comptés et que, comme dans une tragédie, la catastrophe est réglée d’avance. Quoi que  les personnages fassent, ils ne lui échapperont pas... Rose et Jack Dawson sont séduits l’un par l’autre, enivrés du bonheur d’aimer. Et pour cela, plus rien ne peut les arrêter. Au cours de ces instants précieux, ils bravent les obstacles, se moquent des convenances, rêvent, dansent, boivent, courent à perdre haleine, font l’amour, éclatent de rire... Et puis tout à coup, ils entrent dans l’impasse, ils se cognent à l’iceberg : la Mort est là, toute proche, ils ne disposent plus, comme tous les autres, que de deux heures pour vivre.

                Le film devient sublime dans cette peinture du tragique... Comment les hommes réagissent-ils quand ils se savent condamnés ? Avec sa caméra, James Cameron dresse un tableau stupéfiant de la condition humaine. Effets de ralentis, portraits instantanés. Clameurs. Silence. Lumière. Ombre... « Navire glissant sur les gouffres amers », le Titanic n’est plus qu’un bateau ivre en suspens. L’iceberg « a tout dispersé, gouvernail et grappins ». Sur l’horizon de la mer glacée, « infusée d’astres, lactescent » s’écrit une page tragique du « Poème de la mer »... Le Grand hôtel de Balbec part désormais à la dérive et personne n’en admire plus les façades illuminées. 

                Les malheureux personnages de ce drame comprennent qu’ils sont devenus, sous le grand ciel étoilé de l’Atlantique nord, les dérisoires marionnettes de Shakespeare, les « walking shadows » (ombres fantomatiques) d’un drôle de « conte raconté par un idiot »... Pour ne pas affoler les deux mille passagers, le commandant a donné ordre aux musiciens de l’équipage de jouer des airs gais. Et l’eau galope en cadence à tous les coins du navire.

                « Pour la première fois l’aigle baissait la tête » : l’insubmersible colosse s’incline et sa cheminée s’écroule. Et pendant ce temps-là, sur le pont du navire, comme sur « la branloire perenne » de Montaigne, hommes et femmes courent dans tous les sens. Le monde est devenu fou, la terre est sortie de son orbite, « time is out of joint ». Il y en a, parmi les « frères humains », qui écrasent les autres pour sauver leur peau, il y en a qui cèdent à la panique, il y en a qui prient et qui écoutent le sermon du pasteur : « Je marchais à travers la vallée de l’ombre et de la mort... Et je vis la cité sainte de Jérusalem »... Certains restent dignes, un verre à la main, chapeau haut de forme sur la tête. Un vieux couple s’enlace sur le lit nuptial comme sur un ultime radeau, un enfant crie pétrifié dans un couloir inondé, une maman raconte une légende irlandaise à ses enfants au sujet du « pays de la jeunesse et de la beauté éternelles »...

                « Plus près de toi mon dieu »... Sublime élégance des musiciens qui continuent de jouer au milieu de la tempête... égarement du commandant revenu à la barre du cauchemar... absurdités des employés de la White Star Line qui menacent de porter plainte contre la dégradation du matériel.  Evanouissement méthodique des illusions... Les billets de banque s’envolent, les lustres, les tables sous la lumière tamisée, les dîners aux chandelles, les piles d’assiettes en faïence, les étagères qui tombent les quatre fers en l’air, les chapeaux, les bijoux, les belles robes pour habiller les spectres. Tout à vau-l’eau, trimballé pitoyablement dans les pattes des passagers affolés, « harnachés comme des bourriques », piétinant sur le pont, aliénés dans la même atroce épouvante.

                Sous la voie lactée et le silence ironique de l’océan, dans cet immense filet de ciel bleu sombre, le Titanic n’est plus qu’un gros poisson électrique secoué de spasmes inutiles. Les lumières s’éteignent. Le bâtiment s’abîme tout au fond du tourbillon. Le rideau se ferme. Dans le décor hallucinant des corps gelés au-dessus de l’abîme, « flottaison blême et ravie », Rose, qui s’est hissée sur une planche, voit finalement Jack s’engloutir dans les eaux glacées. Mais elle lui a promis de vivre et d’accomplir sa destinée... Celle d’une aventurière libre et déterminée. Capable de résister, quoi qu’il arrive, et de garder au fond de son être « le cœur de l’océan ». Ce glorieux fétiche, cette clé magique qui ouvrira les grilles de l’épave et qui, le jour venu, ressuscitera toutes les silhouettes évanouies dans l’eau profonde.

                Figures fantomatiques, vacillant en arrière-fond, en surimpression sur le fond majestueux du Titanic... c’est peut-être cela que la 3D apporte de plus à cette nouvelle version du film.

 

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