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« Gainsbourg trinque avec Rimbaud à l’auberge de la Grande Ourse »

Publié le par Eric Bertrand

De la même façon que la poésie de Baudelaire, de Verlaine ou de Hérédia imprègne les textes de Gainsbourg, celle de Rimbaud infuse dans son imaginaire. Dans ses carnets, il note, avec une lucidité poignante, la phrase suivante : « Je vais essayer de rejoindre Rimbaud, je veux l’approcher... Un jour, je le retrouverai, quelque part en Abyssinie, où il faisait le trafic des armes et de l’or... »

Et il a déjà retrouvé « l’homme aux semelles de vent » à travers les personnages de ses chansons… Comme « les chercheuses de poux », ces « grandes sœurs charmantes » du « cahier de Douai », Élisa cherche avec ses ongles « les petits poux » dans « le front de l’enfant » et réveille en lui le trouble infini du désir, sous la pression de « ses ongles argentins ».

Comme Ophélie, « Sur l’onde calme et noire où dorment les étoiles », « la Noyée », « s’en va à la dérive ». « On entend dans les bois lointains des hallalis » écrivait Rimbaud. Et sur un disque écrit par Serge, c’est la voix de Vanessa Paradis qui passe sur l’eau et chante cette « blanche Ophélia flottant comme un grand lys », « dérivant, tombée des nues frôlant les nénuphars ».

L’imaginaire de l’eau, si vivace dans la poésie de Rimbaud, hante celle de Gainsbourg : l’eau est à la fois espace d’évanouissement et de dispersion mais aussi espace de « l’inouï ». C’est vers « le Poème de la mer, infusé d’astres et lactescent » que tend le Bateau ivre enfin libéré de « l’œil niais des pontons ». C’est également vers « ces lumineux coraux des côtes guinéennes » que « s’agite en vain ce sorcier indigène » espérant retrouver sa Mélody, Mélody et ses cheveux rouges comme « les algues brunes et rouges dessous la vague bougent. »

 

« Gainsbourg trinque avec Rimbaud à l’auberge de la Grande Ourse »

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Le tracteur ivre (d’après Arthur Rimbaud)

Publié le par Eric Bertrand

Comme je descendais des Fleuves impassibles,
Je ne me sentis plus guidé par nos bons cœurs :
Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles,
Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs.

J’étais énervé contre tous les équipages,
Portant poulets d’Ukraine ou bien produits flamands.
Quand avec mes tracteurs ont fini ces tapages,
Les Fleuves m’ont laissé descendre où je voulais.

Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème
De l’Amer…

Le tracteur ivre (d’après Arthur Rimbaud)

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Dosette de lecture n°101 : Sylvie Germain : « À la table des hommes ». Quelle part du festin de la terre les hommes abandonnent-ils aux animaux, aux arbres et aux créatures des étangs ?

Publié le par Eric Bertrand

Dans quel état un être peut-il sortir des décombres de la guerre et de la haine entre les hommes ? C’est un récit intemporel, un conte cruel qu’écrit Sylvie Germain en 2019 lorsqu’elle imagine le destin d’un enfant sauvage né de l’étreinte improbable entre une truie et un soldat agonisant. La scène originelle a lieu dans un monde en guerre où les hommes ont perdu tout repère et toute humanité : « La guerre les a saisis, corps et âme, extirpant des bas-fonds de leur être une capacité de haine et de cruauté qu’ils ignoraient porter. »

Très attentive aux sensations de son personnage, Sylvie Germain se glisse à hauteur d’herbe, fouaille la terre dévastée, lève les yeux vers le ciel, respire les essences des forêts, les odeurs des étangs et les parfums des fleurs. Comme son héros accompagné fidèlement d’une corneille, elle enseigne au lecteur à se méfier du « guêpier des hommes » et à trouver, dans l’émerveillement et l’évasion, des voies alternatives.

Et parmi ces voies alternatives, il y a pour l’enfant sauvage, ce pourceau, ce blaireau, cette « fouine » comme le surnomment les autres enfants, la découverte du langage : alors que le village où il a été recueilli sort enfin du confinement et retourne à la civilisation, alors que les routes sont à nouveau ouvertes et que les journalistes débarquent avec leurs radios et toutes leurs connexions, « lui qui piétine dans un maigre cailloutis de mots », il entend autour de lui parler toutes les langues et ça l’intrigue et ça le fascine.

Commence alors sa longue aventure « à la table branlante des hommes » à laquelle il faut éviter de s’attabler trop longtemps…

« La table branlante des hommes.

Vois combien la nuit consume la voie lactée des âmes.

Monte dans ton chariot de feu et quitte le pays ! »

Le récit de Sylvie Germain s’achève sur cette pensée de Tomas Tranströmer et les vers de ce poète suédois en disent long sur l’ensemble du récit car ils sonnent comme un avertissement au lecteur…

Dosette de lecture n°101 : Sylvie Germain : « À la table des hommes ». Quelle part du festin de la terre les hommes abandonnent-ils aux animaux, aux arbres et aux créatures des étangs ?

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Arthur Rimbaud découvert par deux adolescentes au moment du festival « le Cabaret vert » à Charleville.

Publié le par Eric Bertrand

Sous le regard d’une femme qui l’a aimé et de deux adolescentes, le lecteur suit Arthur Rimbaud sur les routes du monde : Rimbaud le garnement de 14 ans, Rimbaud le rebelle, le scandaleux, l’amant infidèle, le poète, l’aventurier, le trafiquant, le légendaire, l’icône rock’n’roll du Festival du « Cabaret vert » … Le roman annoncé "Over the Rimbaud" est enfin proposé à la vente : il sera distribué par Hachette en précommande quelques jours avant la sortie le 5 avril prochain.

Pour l'obtenir, il suffit de se connecter sur le site des Editions Hello : https://www.helloeditions.fr/product/over-the-rimbaud/ et de composer le code de promotion : RIMBAUD5 afin de bénéficier de la réduction de 5%.

Voici également pour davantage de précisions sur le contenu du livre, l'adresse de mon site : http://ericbertrand-auteur.net/

Arthur Rimbaud découvert par deux adolescentes au moment du festival « le Cabaret vert » à Charleville.

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Sylvain Tesson : Avec les fées. Sous la bannière des fées... et de la poésie.

Publié le par Eric Bertrand

Puisque la nuit était tombée sur ce monde de machines et de banquiers, je me donnais trois mois pour essayer d’y voir. Je partais. Avec les fées. (Sylvain Tesson)

À quelles manigances les fées s’amusent-elles ? « La fée recule où l’homme progresse » écrit Tesson (à qui un sinistre comité refuse ces jours-ci le titre de poète…) La fée est comme la poésie, on va le voir.

Pour cette centième dosette de lecture, il me fallait un livre un peu particulier et qui fasse écho à mes territoires favoris. Et c’est bien dans les Highlands d’Écosse, que débouche le dernier livre de Sylvain Tesson, livre qui chemine tour à tour en Galicie, en Finistère, en Irlande, dans l'île de Skye, les îles Orcades, les îles Shetland, le long du Canal Calédonien, enfin dans l'île de Man avant son retour par Saint Malo… Quel appel ! Sa rêverie dure trois mois et l’amène, avec deux autres compagnons, de ce « bateau ivre » qui l’accompagne à ces « promontoires » où il marche pendant des heures et s’installe pour bivouaquer.

Se mettre en mouvement, guetter inlassablement, chercher le moment précieux, l’instant de « fine pointe » et surprendre la beauté, là où on ne l’attend pas. C’est cela, traquer les fées. « Dames qui tournoient sur les terrasses voisines de la mer » dirait Rimbaud, « dans le clair déluge qui sourd des prés », au pied des falaises où roule l’écume, sur le fil de soie du flot et les phosphorescences des profondeurs, à l’ombre des pierres dressées qui « montent la garde », sur les ailes d’une libellule à l’entrée d’une chapelle, dans des « sous-bois vert tendre », derrière des touffes d’asphodèle...

Le but de l’auteur de La Panthère des neiges est surtout de mener, comme un chevalier embarqué, une sorte de quête du Graal et de poursuivre, à la façon des romantiques au XIX° siècle (Hugo, Chateaubriand, Keats, Wordsworth et les autres), cette « lutte contre ce qui s’annonçait : le profit marchand, l’emprise technique, l’urbanisation grouillante, la folie de la foule. »

Et puisque le Graal échappe toujours, il va le disputer au vent, au flot, aux pétrels, aux fulmars, aux phoques brailleurs ; il escalade les stacks écossais, Old man of Hoy dans les Orcades, Mac Leod’s Maidens dans l’île de Skye ; devant la grotte de Fingal, il joue un air de flute au vieil Ossian, s’agenouille au pied des stèles et des épées à Iona, entrevoit le « wasserfall blond » dans les cascades de Rum et finit par tomber dans les bras et sous la chevelure rousse d’une créature « sortie d’un tableau de Rossetti » et rencontrée au retour des îles Shetland, sur le Canal Calédonien. « Au réveil, il était midi. »

N'est-ce pas cela, être un poète ?  

 

Sylvain Tesson : Avec les fées. Sous la bannière des fées... et de la poésie.

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