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Du sang neuf pour le Père Cent à La Rochelle

Publié le par Eric Bertrand

Sur le boulevard du temps qui passe, à cent jours du bac, ils sont tous venus en défilé rejoindre le Père Cent, ces lycéens de La Rochelle vêtus de cent façons.

            Ils sont tous là, en farandoles et fêtes galantes, les Pierrot au visage lunaire, tombés de Vénus ou du septième ciel. Leur tente est à côté sur un coin de pelouse, calée au milieu des cartons MacDo et des canettes de bière. Au feu rouge d’après, des Colombine en tenue d'astronautes, semblablement grisées par les altitudes, n’en reviennent pas de ne plus atterrir en cours comme elles font d’habitude le mercredi.

            Elles épient discrètement de l’autre côté de la route ces drôles d’humains habillés en cônes de signalisation, ces bonnets d'ânes d’un genre différent, ces chapeaux de sorciers un peu allumés qui courent après deux ou trois des Sept nains, Grincheux, Joyeux, Atchoum. Où est Blanche-Neige !

            Quatre ou cinq Dalton du genre nerveux ont abandonné le campement : dans leur pyjama de bagnard, ils arpentent l’asphalte et braquent les passants. La soirée pyjama, c'était hier, aujourd'hui, c’est du sérieux : on passe le cap, on est des grands et on ne craint plus personne, même pas les caïds aux casquettes de matafs, même pas les grands dadais en tenue de bite gonflable, qui s’excitent au rond-point d’à côté !

            Sur la grande avenue, d'increvables bibendums naviguent gaîment sur les pneus increvables de l'aventure buissonnière. Des pêcheurs à la ligne sont installés à la marge, sans copies doubles, sans cahiers, faussement paisibles parmi les flux de voitures et les klaxons : ils pêchent à la mouche et n’ont plus l'encre sur les doigts, ni annotations, ni sanctions des garde-pêches. Ici, c’est un nouvel établissement qu’il dirigent : on n'aime pas l'encre rouge et on préfère le rouge des roses et le rose du sang qui fait taper le cœur et rougir les joues. On ne tolère les mauvaises notes que lorsqu’elles sont jouées sur la guitare ou le banjo.

            Et tant pis si on ne récolte pas beaucoup d'argent, les frémissants pirates qui ont jeté l'encre et le stylo sur les ronds-points dans l’ombre savent bien qu’il y aura encore de l'ambiance cette nuit. De l’ambiance, de la bière, des gâteaux, et autant de friandises que de pièces jaunes et d’étoiles dans les yeux...

 

Du sang neuf pour le Père Cent à La Rochelle

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Dosette de lecture n°105 : Emmanuel Carrère : Un Roman russe : l’obsession du fantôme

Publié le par Eric Bertrand

Qu’advient-il de ces êtres qui disparaissent sans qu’on sache où et dont l’absence continue de nous hanter ? Ce mystère de l’Absent concerne un membre de la famille de l’auteur, son grand-père, sur qui pèse un lourd secret que protège farouchement sa mère, l’académicienne Hélène Carrère d’Encausse. Cette dernière a supplié son fils de ne rien révéler à son sujet ; mais la tentation est trop forte pour l’écrivain tourmenté qui perçoit à quel point le secret mine le psychisme de ses proches.

Toute sa démarche, dans ce roman consiste à se confronter à la figure du disparu. C’est sans doute du fait de la proximité entre l’histoire familiale et celle d’un exilé hongrois, enlevé un jour d’octobre 44 par l’Armée russe, qu’il s’intéresse à ce personnage qui revient enfin dans son pays après un séjour de plus de cinquante ans dans un hôpital psychiatrique perdu dans la campagne, à huit cent kilomètres de Moscou.

L’enquête menée dans une petite ville de Russie égare le lecteur au fil de la vie dévastée de l’auteur de « l’Adversaire » où les rencontres, les relations amoureuses et les projets de tournage ne parviennent pas à éliminer de son horizon mental la figure fantomatique du grand-père disparu. Lui, dont « la folie et l’horreur ont obsédé la vie », s’observe sans concession dans ce miroir qui le met aux prises avec le réel le plus insoutenable : « Pas besoin de sauter par la fenêtre pour mourir, d'autres comme toi meurent très bien vivants. »

 

Dosette de lecture n°105 : Emmanuel Carrère : Un Roman russe : l’obsession du fantôme

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Une meilleure visibilité dans les salons

Publié le par Eric Bertrand

Comment parler des livres quand on est à la table d'un salon littéraire ou même d'un libraire ?

Comment faire exister ces torrents de mots que contiennent nos livres, lorsque on est sagement "rangés" entre les "pontons" et qu'on est censé descendre "des fleuves impassibles" pour ne pas troubler le flâneur qui cabote entre les rayons parfois encombrés de nombreux steamers... ?

L'image est un moyen direct, qui peut créer le bon courant et faciliter "l'éveil maritime".

Voici le nouveau dispositif que je vais pouvoir utiliser.

J'y ai privilégié les titres et les couvertures qui renvoient à l'univers le plus présent dans mes livres : Rimbaud, Gainsbourg, l'Ecosse, l'Amérique de Kérouac, Ré, le voyage, valises et sacs à dos ...

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Dosette de lecture n°104 : Toni Morrison, « Home » : La force du sang

Publié le par Eric Bertrand

D’où revient-on vraiment lorsqu’on a traversé une épreuve telle que celle que la vie peut réserver ? Le héros de ce roman a survécu à la guerre de Corée. Traumatisé, angoissé, fébrile, il revient aux Etats-Unis par Seattle et traîne sa misère dans un monde qui lui paraît étranger. Jusqu’au jour où il reçoit une lettre qui va tout changer et redonner un sens à sa vie. Sa petite sœur Cee qui habite dans l’État de Géorgie manifeste sa volonté de le revoir d’autant qu’elle est en danger et qu’elle a un urgent besoin de ce frère, seul membre de sa famille sur qui elle peut compter

Pas une minute à perdre. Il faut partir tout de suite, voyager, aller vers le sud, surmonter ses angoisses et enfin un matin, en même temps que les autres travailleurs dans le bus d’Atlanta, se fondre dans la masse et accepter de « commencer la journée » : « Une fois passé le quartier commerçant de la ville, ils descendirent un par un tels des plongeurs pénétrant de mauvaise grâce dans une eau peu engageante, bien au-dessus de la pollution en contrebas. Parvenus au fond, ils chercheraient partout les débris, les ordures, réapprovisionneraient les récifs et repousseraient vers le bas les prédateurs nageant entre les algues dentelées. Ils nettoieraient, cuisineraient, serviraient, surveilleraient, blanchiraient, désherberaient et tondraient. »

De son côté, la petite sœur est devenue une jeune femme et la vie n’est pas simple pour elle non plus, mais une voix la guide et l’aide à surmonter les épreuves : « Ne compte que sur toi-même. Tu es libre. Rien ni personne n’est obligé de te secourir à part toi. Sème dans ton propre jardin. (Ne laisse personne décider qui tu es.) C’est ça, l’esclavage. Quelque part au fond de toi, il y a cette personne libre dont je parle. Trouve-la et laisse-la faire du bien dans le monde. »

Dosette de lecture n°104 : Toni Morrison, « Home » : La force du sang

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Une scène répétée sous le ciel de Rome

Publié le par Eric Bertrand

Grands oiseaux de présage, les avions passent au cœur des fumées de Fiumicino et, dans le mouvement d’horlogerie mal réglé des trottinettes, vespas et Fiat 500 tout feux rouges allumés, parmi les ruines et les bâtiments antiques, comme un Vésuve au-dessus de la ville éternelle, le Temps enfume les vivants.

Sous ce tremblement des heures, parmi les magnolias où courent les vertes perruches, éclairs vifs sous les palmiers en lampadaires, ces acteurs éphémères jouent leur scène entre les toits embrasés de Trastevere et la Place dorée del Popolo. Et les statues muettes et blanches baissent les yeux sous le soleil d’Apollon tandis qu’avancent les Vénus aux jambes nues, aux robes ouvertes et légères, les femmes aux visages peints, blafards sous le fard. À coups de pinceaux, les faux-cils, les breloques, les perles et les tatouages essaient, sur la toile de la peau et du papyrus brun, des vaguelettes d’écriture. Et la toile bouge jusque dans les fontaines où les Tritons pleurent toutes les larmes d’eau. Sur leurs écrans, les hommes tuent le temps, de leurs grands ongles, les filles effleurent les touches des portables et font semblant d’ignorer les touches et les œillades.

Et le Temps glisse, réfléchit les miroirs, les silhouettes, les yeux ravis, éplorés comme les figures sur les tableaux des musées, des galeries dans les palazzi, les villas. Les odeurs moulues du café, les parfums de glace fondue, l’émiettement de la pâte à pizza à la bouche des serveurs, le « sfumato » du cappuccino, moustache de chocolat sur les lèvres montent vers les nuages ou retombent sous la terre.

Tout au long des quais, le Tibre creuse la pierre et inscrit dans la durée cette minute d’existence au fil d’or de la ville éternelle.

Rome

Rome

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