Dosette de lecture n°90 : Victor Hugo du haut de son look-out « Le chaos vaincu » ?
Comment espérer mettre un terme au chaos ambiant et continuer sous les meilleures auspices ce que le regretté Hubert Reeves appelait : « La grande aventure de l’univers » ? Cette question est hélas d’une tragique actualité quand on pense au fracas du monde depuis le silence interrompu des injonctions du confinement.
Dans le gouffre de son œuvre, Hugo ne cesse de se la poser. Ce qu’il appelle « l’ombre », cette part effrayante de l’Humanité où menace le Mal absolu, il la met en jeu tout au long de ses romans et recueils. Monstruosité, misère féroce, barbarie, néant, nuit… Toute son œuvre à la fois poétique et romanesque peut être appréhendée dans ces mots qui sont aussi des concepts et des symboles aussitôt combattus par les forces de vie et de lumière.
C’est pour cette raison qu’on trouve toujours chez Hugo une figure rayonnante, un héros casqué d’une lampe torche qui part au-devant de la matière brute et qui l’affronte pour finalement en triompher après en avoir montré l’étendue (maléfice profond et irrécupérable de certains « Misérables », monstruosité de la pieuvre-kraken sous la mer, stupidité et égoïsme incommensurable des politiques et souffrance du peuple…)
Dans l’épopée des Travailleurs de la mer, le bateau « la Durande » menace de sombrer dans les « double-fonds de l’abîme » et pourtant, Gilliatt le ramène vers les côtes de Guernesey : il réussit ainsi son « travail de la mer ». Dans Les Contemplations, au terme de sa « marche » vers « le tombeau », le poète parvient à renouer le dialogue tragiquement interrompu avec sa fille Léopoldine et lui offre « Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleurs » : « Ne dites pas mourir, dites naître ». Quant à Gwynplaine, l’homme qui rit, s’il porte sur le visage la grimace monstrueuse du Mal qu’il a côtoyé toute sa vie, au terme de sa traversée, il ramène lui aussi la lumière : la jeune aveugle Déa retrouve la vue et « le monstre » ne rit plus, il sourit. Son masque d’ombre vient de tomber aussi sèchement que la dépouille de la pieuvre poignardée par Gilliatt... Le « Chaos est vaincu » par « l’éclaircie » (poème 10 du livre 6 des Contemplations). La lumière et l’harmonie reviennent après la tempête.
Mais, du haut de son "look-out", le « mage » de Guernesey continue de nous avertir : malgré son éclat et sa beauté, l’éclaircie est le signe d’un trop éphémère « Chaos vaincu ».