bretagne
Quel chevalier chez Arthur ?
On le voit à la lecture de ces récits, le lecteur, plus ou moins édifié, se trouve confronté à une aristocratie de personnages. Ces chevaliers sont-ils pour autant tous construits sur le même moule ? Ce serait ennuyeux et pauvre littérairement ! Même s’ils n’ont rien à voir avec les guerriers de l’époque d’Arthur, ces hommes sont différents les uns des autres. Tel chevalier est gouverné par son tempérament. Ainsi, le sénéchal Keu ne peut retenir sa langue acerbe. Arthur est confronté à travers lui à la réalité de la querelle, de la violence et, d’une certaine façon de l’humanité : en cela, sa parole dérangeante agit comme un déclencheur de la prouesse et de la courtoisie. Piqué au vif, tel autre chevalier aura à cœur de sublimer ce tempérament par la force de l’esprit. Gauvain, incarne cette valeur. Il dispose d’une véritable autorité morale et s’impose naturellement, comme un bon conseiller, par son charisme et sa lucidité.
Tel autre, qu’il s’appelle Tristan ou Lancelot, est mu par la force de son coeur. Le chevalier courtois pratique la religion de l’amour : sublimation de soi, recherche quasi maniaque du raffinement, exercice de la contemplation et de la méditation, tels sont les élans du cœur qui guident le personnage au fil de ses aventures. Cet enthousiasme de l’amour mène à un but ultime, celui de plaire à la dame et de lui rendre service. Pas besoin de retour charnel (en cela le cas de Tristan et Iseut est particulier).
Tel autre enfin, et cet aspect est essentiel et correspond au dernier développement de la figure du chevalier, n’obéit qu’à son Dieu et à la charité chrétienne qu’il lui impose. Le chevalier ne vit que pour rendre service et venir en aide à la détresse d’autrui. Yvain et Perceval accomplissent dans les romans dont ils sont les héros un véritable itinéraire qui les mène, par le dépassement d’eux-mêmes, à la découverte d’une essence de nature religieuse : c’est le cas avec le personnage de Galaad qui se lance, après Perceval dans la quête du Graal).
Le chevalier en quête... de quoi au juste ?
Rien de confortable et de « petit bourgeois » dans cet amour-là ! L’attente et la quête impliquent à la fois patience et prouesse afin d’élever l’image de l’être aimé. Erec et Enide de Chrétien de Troyes illustre bien cela : le vaillant Erec s’embourgeoise au château, il faut qu’il quitte sa femme pour se rehausser à ses yeux par des prouesses, sans quoi il est menacé de devenir un simple mari en pantoufles et robe de chambre. C’est également le cas d’Yvain dans le Chevalier au lion puisque sa jeune femme Laudine lui demande de partir pendant un an afin d’accomplir des exploits. Et l’amant (mari ou chevalier servant) s’exécute sans broncher afin de mériter toujours la considération (sinon le baiser !) de sa dame. Cette conception particulière de l’amour renvoie une image forcément inversée de la réalité des mœurs de l’époque, la littérature fournissant déjà aux lecteurs (et lectrices !) une opportunité de rêve et d’évasion qui fasse oublier les violences et les goujateries des messieurs empressés au retour de la chasse ou de la bataille.
Point de bassesse dans le monde arthurien ! La cour d’Arthur est rendue prestigieuse parce qu’elle est composée de grands et noble chevaliers. Comment définir cette classe particulière de la chevalerie si éloignée de notre société ? Tissue d’influences diverses, visant toutes à l’excellence, elle emprunte ses caractères à la fois à la matière de France, celle de Bretagne et celle de Rome. On peut ainsi définir la figure du chevalier selon trois critères : celui de l’errance, celui de la quête et celui de l’élection. Le critère de l’errance est lié à la volonté d’affirmation de soi à travers une recherche vague des « merveilles » que le monde recèle. Mais l’errance pour l’errance ne mènerait à rien, sinon à une vague forme du narcissisme.
A l’idée d’errance se joint celle de la quête. Viviane indique à Lancelot qu’il doit se dévouer aux faibles et servir un idéal de justice. Dans cette quête, le chevalier trouve un accomplissement de soi : par exemple, Yvain, fils d’Urien, perd son nom, avant de devenir « le chevalier au lion ». Inversement, Lancelot est d’abord seulement désigné sous l’appellatif de « chevalier de la charrette ». Perceval, quant à lui, n’a l’intuition de son nom qu’au terme de sa quête. Mais n’erre pas ni ne quête qui veut... Encore faut-il une élection. Le chevalier est désigné en fonction des exigences de sa mission : la tâche est écrite, Galaad, nouveau Christ, n’a qu’à suivre sa pente naturelle de chevalier « doué », doté d’une « grâce » pour trouver le Graal.