Aznavour au salon du Livre de Ré (intégral)
C’était le mois dernier ! « Balayé par septembre tristement se démembre... »... « On coupe le bois à Trousse chemise »...
Début août sur l’ile de Ré, Aznavour invité d’honneur au salon de « l’ile aux Livres »... « Emmenez-moi ! ». Il est loin désormais « Paris au mois d’août », « tu t’laisses aller, tu t’laisses aller... la mer était verte... Trainant un parfum poivré de pays inconnus et d’éternels étés où l’on vit presque nus », je la distingue à peine, la chaise du chanteur de légende, comme enfoncée dans une enceinte de dune, le temps d’un drôle de concert.
Derrière les créneaux d’une sorte de château de sable improvisé (les barrières installées à la hâte pour canaliser les fans assagis) il est occupé à signer ses livres pour les flâneurs de la plage, les amoureux « guettés par les vieilles derrière leurs volets, noyés dans la cohue mais dissociés du bruit, glissant les yeux mi-clos », serrés, quasi « joue contre joue » fredonnant, animés malgré tout d’une envie de se balancer, de danser les yeux mi-clos.
Venir voir Charles Aznavour au salon du Livre, c’est venir en pèlerinage. C’est oser ouvrir en public le juke-box intérieur et glisser sur cet irrésistible toboggan des chansons et des souvenirs... Mais les fans, dont le nombre ne cesse de grossir, ne laissent rien paraitre et se tiennent ferme aux « tubes » de la barrière en serrant le livre qu’ils ont décidé de faire signer... « Il faut savoir coûte que coûte garder, toute sa dignité »
Ils ont été nombreux à chanter l’ile de Ré. « Dans l’ile de Ré, ma belle adorée, je t’emmènerai... ». C’est pourtant la première fois que l’interprète de « Trousse chemise » vient sur les lieux de la chanson ou plutôt « à proximité ». Le désormais mythique site de Trousse chemise est en effet éloigné du Bois-Plage. « Le petit bois de Trousse chemise » et sa « plage déserte (!) » se trouve tout au bout de l’ile, du côté des Portes et du phare des Baleines que chante aussi l’ami Nougaro. Quant à « Merde à Vauban », c’est de l’autre côté, vers Saint-Martin, « sur l’ile de Ré, j’mange du pain blanc... », n’est-ce pas Léo ? Mais ces deux là, Ferré et Nougaro, il faut même pas y compter... « Bagnard, le temps qui tant s’allonge, dans l’ile de Ré »...
« Je fuirai laissant là mon passé sans aucun remords sans bagages et le cœur libéré en chantant très fort »... Aznavour, lui, ne chante pas ce matin... « Hier encore... »
Derrière ses lunettes noires et secondé d’un auxiliaire qui lui répète le nom de la dédicace, il soulève la plume d’une étrange mouette que « le temps a dévasté ». La mer est-elle grise ? L’est-il aussi ? Pas de plage déserte, de robe légère, de verre de vin renversé ni de vrai muscadet...
Mais dans le désordre et le piétinement, au fil de la longue queue et sous le nez des autres écrivains définitivement délaissés (« il pleut sur la plage des mortes saisons »), les paroles des chansons d’Aznavour frémissent, font bouger puis rouler le sable... Dans l’enceinte de la plage et de la mémoire, des airs reviennent, des scènes se colorent, brillent en même temps que la marée... « Non, je n’ai rien oublié... dans le petit bois de Trousse chemise, on fait des bêtises souviens-toi nous deux ! »