Baudelaire et Gainsbourg (2/4)
Dans le contexte déprimant de la réalité quotidienne, le spleen menace de toutes parts. L’Idéal, (le Ciel sous la faïence !), est ailleurs. Au-delà de l’artifice, au-delà de l’Ennui, accessible uniquement par la grâce conjuguée du paradis artificiel et de la sensualité... Il faut réécouter, rien que pour le plaisir, le texte moins connu intitulé « l’alcool ». Le chanteur s’exprime à la place d’un malheureux aux prises avec les tourments de ses illusions. « Mes illusions donnent sur la cour / Des horizons, j’en ai pas lourd / Quand j’ai bossé toute la journée / Il ne me reste plus pour bosser / que les fleurs horribles de ma chambre... ». Notons bien ces « fleurs », pétales sans doute arrachées aux « Fleurs du Mal ». Le texte construit un double itinéraire : celui de la réalité et celui du rêve. « Dans les troquets du faubourg j’ai des ardoises de rêveries (...) et dans les vapeurs de l’alcool, je vois mes châteaux espagnols » L’immonde dans lequel « survit » son personnage cède soudain la place au merveilleux : « J’oublie ma chambre au fond d’la cour / Le train de banlieue au petit jour » : l’alcoolique « au regard morne, aux mains dégueulasses », change soudain de vie, s’évade, se métamorphose.
Dans toute la chanson, le contraste entre les deux vies, les deux silhouettes et les deux horizons reproduit à sa façon les lignes d’un poème en prose du Spleen de Paris intitulé « la Chambre double ». « Une chambre qui ressemble à une rêverie... Sur le lit est couchée l’Idole, la souveraine des rêves » L’unique objectif du poète, allongé dans sa chambre, est également celui d’échapper au sordide et de retrouver le vertige qui le met au contact direct de l’Idéal. « Horreur ! Je me souviens ! Oui, ce taudis, ce séjour de l’éternel ennui (...) Dans ce monde étroit, mais plein de dégoût, un seul objet connu me sourit : la fiole de laudanum ». Le « fumeur d’opium » qu’est aussi Baudelaire ne se grise aux visions de « la souveraine des rêves, la sylphide », qu’à condition qu’il parvienne à vaincre le Temps et le « hideux vieillard » qui est en lui.