Baudelaire et Gainsbourg (3/4)
Dans ce sens, le personnage de « l’alcool » écrit, à sa façon, « le poème du haschich ». Il est, chez Gainsbourg, cousin de celui qui, dans la chanson « Initials BB », « se morfond dans quelque pub anglais du cœur de Londres ». Par la vertu de « l’eau de Selz », il voit tout à coup émerger au-dessus de son verre, une créature splendide dont les grelots, « les clochettes d’argent de ses poignées » sont liés aux fantasmes baudelairiens des bijoux, de la peau mate et de la senteur. « La très chère était nue et connaissant mon cœur / Elle n’avait gardé que ses bijoux sonores / Dont le riche attirail lui donnait l’air vainqueur / Qu’ont dans leurs jours heureux les esclaves des Maures ». La créature du fond du verre a pris les traits de BB en ces années 60 où la star tentatrice du cinéma français donne envie aux créateurs de reparcourir tous les mythes...
Le « parfum exotique » de « l’essence de Guerlain dans les cheveux » enivre le poète et l’amène jusqu’à la légendaire Alméria : « agitant ses grelots / Elle avança / Et prononça ce mot / Almeria ». Chevelure, parfum, bijoux, mouvement, tous les ingrédients de l’extase baudelairienne sont favorisés par les vapeurs de l’eau de Selz. La retentissante entrée en matière de la porteuse de « médailles d’imperator » favorise le départ vers un port de nature à la fois exotique et érotique : limite extrême où le vice et le calcul guident le regard halluciné du buveur vers l’embouchure du haut des cuisses : « jusques en haut des cuisses elle est bottée, et c’est comme un calice à sa beauté »... La comparaison audacieuse, sacrilège, a le mérite de combiner à la fois les sensations olfactives, gustatives, visuelles, et auditives. C’est dans le calice tendu par cette beauté païenne qu’éclot une véritable « fleur du mal », souveraine et dominatrice, et mettant à genoux ces deux adorateurs de la Beauté éternelle, réunis par la magie de l’Art. « Quand il jette en dansant son bruit vif et moqueur / Ce monde rayonnant de métal et de pierre / Me ravit en extase et j’aime avec fureur / Les choses où le son se mêle à la lumière »