Sylvain Tesson : Avec les fées. Sous la bannière des fées... et de la poésie.
Puisque la nuit était tombée sur ce monde de machines et de banquiers, je me donnais trois mois pour essayer d’y voir. Je partais. Avec les fées. (Sylvain Tesson)
À quelles manigances les fées s’amusent-elles ? « La fée recule où l’homme progresse » écrit Tesson (à qui un sinistre comité refuse ces jours-ci le titre de poète…) La fée est comme la poésie, on va le voir.
Pour cette centième dosette de lecture, il me fallait un livre un peu particulier et qui fasse écho à mes territoires favoris. Et c’est bien dans les Highlands d’Écosse, que débouche le dernier livre de Sylvain Tesson, livre qui chemine tour à tour en Galicie, en Finistère, en Irlande, dans l'île de Skye, les îles Orcades, les îles Shetland, le long du Canal Calédonien, enfin dans l'île de Man avant son retour par Saint Malo… Quel appel ! Sa rêverie dure trois mois et l’amène, avec deux autres compagnons, de ce « bateau ivre » qui l’accompagne à ces « promontoires » où il marche pendant des heures et s’installe pour bivouaquer.
Se mettre en mouvement, guetter inlassablement, chercher le moment précieux, l’instant de « fine pointe » et surprendre la beauté, là où on ne l’attend pas. C’est cela, traquer les fées. « Dames qui tournoient sur les terrasses voisines de la mer » dirait Rimbaud, « dans le clair déluge qui sourd des prés », au pied des falaises où roule l’écume, sur le fil de soie du flot et les phosphorescences des profondeurs, à l’ombre des pierres dressées qui « montent la garde », sur les ailes d’une libellule à l’entrée d’une chapelle, dans des « sous-bois vert tendre », derrière des touffes d’asphodèle...
Le but de l’auteur de La Panthère des neiges est surtout de mener, comme un chevalier embarqué, une sorte de quête du Graal et de poursuivre, à la façon des romantiques au XIX° siècle (Hugo, Chateaubriand, Keats, Wordsworth et les autres), cette « lutte contre ce qui s’annonçait : le profit marchand, l’emprise technique, l’urbanisation grouillante, la folie de la foule. »
Et puisque le Graal échappe toujours, il va le disputer au vent, au flot, aux pétrels, aux fulmars, aux phoques brailleurs ; il escalade les stacks écossais, Old man of Hoy dans les Orcades, Mac Leod’s Maidens dans l’île de Skye ; devant la grotte de Fingal, il joue un air de flute au vieil Ossian, s’agenouille au pied des stèles et des épées à Iona, entrevoit le « wasserfall blond » dans les cascades de Rum et finit par tomber dans les bras et sous la chevelure rousse d’une créature « sortie d’un tableau de Rossetti » et rencontrée au retour des îles Shetland, sur le Canal Calédonien. « Au réveil, il était midi. »
N'est-ce pas cela, être un poète ?