Le machiavélisme de la sorcière... Je cite quelques-unes de ces formules ambiguës : au début, par exemple, elle invite les
deux autres à retourner à l’hôtel :
plutôt que de perdre notre temps, retournons travailler nos personnages à l’hôtel . Ici, il faut plutôt comprendre qu’elle est agacée, fébrile,
qu’elle cherche à savoir si tout est prêt, à s'assurer en tout cas auprès de Sheumas (que les deux autres, d'humeur plus taquine, ont simplement envie d’embêter). Au début de l’acte deux,
quand elle attend l’arrivée du reste de la troupe, elle n’en peut plus d’impatience :
je me sens nerveuse… je vais le chauffer votre ceilidh… un masque de carnaval sur le visage, et la
danse brésilienne qui me remonte l’échine de la mémoire… Cette dernière expression n’est pas seulement une figure de style, c’est l’évidence du dénouement : le départ vers le Brésil aux
côtés de son amant. Citons d’autres exemples :
il va se passer quelque chose…et quand elle dialogue avec les esprits :
prend mes bras, ce qui annonce le couteau contre
Rebecca (en cela, elle semble elle aussi être consciente de la faiblesse de Ronald et, comme Rebecca, vouloir offrir "son bras" pour lui donner la force de l’acte…. La scène où elle fait tourner
les verres avec les autres constitue d’ailleurs pour elle une répétition du crime qu’elle mijote. Quand elle taquine Heather, qu’elle trouve trop maquillée et qu’elle invite à aller se laver les
mains, peut-être redoute-t-elle quelque chose comme le remords qui tenaille Lady Macbeth après le meurtre de Duncan.... Quand elle s’écrie à la fin de la scène
, un verre c’est comme un
acteur, il faut bien qu’il retourne à sa vraie fonction ! C’est à elle qu’elle pense : tout ce carnaval auquel elle se livre n’a qu’un but, la réalisation du plan qu’elle a prévu
avec ses complices. Quand le dénouement approche, le texte qu’elle dit semble encore davantage lui offrir l’occasion d’une répétition, d’une conjuration du sang qu’elle va faire couler :
tu cherchais des idées pour faire couler le sang, Georges ? Et quand elle lance ce curieux aphorisme :
tout comme la femelle a besoin du mâle pour copuler, la sorcière a
besoin de l’homme pour briller elle manifeste à la fois une ambition et une inquiétante libido à venir. C’est aussi la raison pour laquelle je lui ai donné cette origine brésilienne et ce
goût pour le carnaval et le masque, auxquels elle fait à plusieurs reprises mention. Ne confie-t-elle pas à Ronald, à la fin de la pièce,
nous pouvons maintenant nous aimer à visage
découvert.
Les spectateurs perspicaces disposent d’autres signes pour percer à jour ce personnage. Le ton de la voix, certaines
mimiques, le motif du couteau (image très hitchcockienne !)… peuvent être interprétés dans ce sens. La mise en scène et la comédienne trouveront sans doute, sur ce thème, d’autres ressources
à exploiter…
Right in the moorland ...