Dernier article lié à la répétition de mercredi (j’en profite pour signaler aux acteurs lecteurs de ce blog que la répétition
générale au Moulin à Sons n’aura pas lieu à partir de 16h00 comme initialement prévu, mais à partir de 13h30) .Article consacré à la pudeur des comédiens qu’il faut parvenir à surmonter pour
mieux jouer les personnages… Il y a
deux couples d’amants dans la pièce. Et deux couples d’amants de tragédie, forcément marqués par ce que les pompeux appellent
« hybris » et ce que le spectateur identifie comme passion. Cette passion est un ingrédient nécessaire au grain de la tragédie et dans
le Ceilidh, le personnage
le plus passionné est celui de Rebecca. Rebecca «
aime » dans la démesure… Beaucoup plus que Heather… Elle ressemble davantage à cette héroïne de la
légende que joue sa rivale : la princesse Fiona.
Dans l’échelle passionnelle, on aurait au sommet Rebecca et Fiona dans des registres différents (amour torturé chez
Rebecca, amour partagé mais impossible chez Fiona) et, nettement au-dessous, Heather, midinette instable, amoureuse « volatile » (comme disent les sorcières) qui cherche à oublier une
déception amoureuse et à calquer son comportement sur le modèle romanesque de son personnage…
Or, cette passion, ce vertige amoureux doit passer sur la scène par une gestuelle : lèvres,
caresses, mains, corps, étreintes… Et il est difficile de demander cela à des adolescents. Ils sont, dans la majorité, en seconde… Ils ne se connaissent pas forcément bien, ils ont une immense
pudeur. Jusqu’à l’année dernière, les comédiens formaient un groupe de copains et de copines vraiment proches les uns des autres, de sorte que je pouvais leur demander n’importe quoi… Je me
souviens par exemple d’une scène particulièrement torride sur la table d’un bistrot entre les deux « lofteurs indécents » du Loft History 2084 : Tarzan et
Fleurette… L’objectif déclaré de ces personnages montrés du doigt comme obscènes et dangereux par le spectacle de la télé réalité était clairement de défier « Big Brother », de
combattre l’obsession puritaine et sanitaire et d’imposer l’amour par le biais des caresses …
Sans aller jusqu’à l’indécence, cela n’est pas le but dans ce texte d’un genre tellement différent, je demande aux
comédiens concernés de se libérer… Par exemple, je propose à Sélouane de tenter de séduire à nouveau sa maîtresse en colère en ayant recours non seulement aux beaux discours mais aussi
aux caresses… Il doit toucher sa peau du bout des doigts, lui tordre les cheveux, la serrer contre lui, prendre son visage entre ses mains et parvenir ainsi peu à peu à la griser… Voyons
dans le texte :
« Ronald : (Au fur et à mesure de sa tirade, le ravissement de Rebecca est de plus en plus sensible) Elève-toi un peu veux-tu, élève-toi un peu,
Rebecca !... Comprends que je ne suis pas seulement un « amant » ! Avec toi, je me sens une autre envergure… Ecoute-moi ! Lorsque j’ai monté Macbeth, si je t’ai
choisie, toi, plutôt que Heather, Lou, Suzy ou Diana, c’est parce que, dés la première audition, j’ai compris que tu étais une actrice exceptionnelle !... Est-ce que tu comprends
ça ? Quand je t’ai vue jouer Lady Macbeth, comment te le dire, j’ai deviné autre chose en toi ! Quelque chose qui me fascine… Ça y est, tu m’écoutes
maintenant ! Tu aimes m’entendre parler de la sorte, hein ?... Alors, avant de continuer, accorde-moi un intermède, un entracte !... Redis-moi la tirade de Lady
Macbeth que tu dois dire ce soir !... Allons, exécute-toi, cette fois, c’est le metteur en scène qui te l’ordonne ! »
Ou encore, juste quelques tirades plus loin, quand il joue de l’ambiguïté des termes : le mot
« gorge » au sens de gorge « égorger », ou au sens de gorge (poitrine) à caresser… Assassiner ou étreindre une maîtresse. Thanatos ou Eros ?
Ronald s’amuse avec cela et le spectateur doit en saisir les enjeux…
Ruin in the island of Skye. (Collection personnelle)