Salvatore est resté un enfant. Salvatore aime la Befana. Il se fait un cinéma sur le ponton, rêvant de « Titanic »,
« Spiderman », « Spuperman » et de cinema sotto le stelle… Voici une autre histoire de Salvatore, celle qui nous ramène une fois de plus aux fils
inconscients de la création…
Depuis mercredi, c’est la voix d’Alfredo qui manque dans le
petit village et Totto affolé court dans les rues sous les projecteurs éteints du cinema sotto le stelle. « Dov’é il Cinema Paradiso e dov’é la Befana ? ».
Une scène du film a été tournée à Cefalù, au bord de la mer,
à environ soixante kilomètres de Santo Stefano di Camastra. Mais, en cette fin novembre, la mer est grise et un vent frais balaye les rues vides. La foule bariolée a déserté, les
pinocchio espiègles, les puppi désarticulés ont perdu leur Gepetto. Les conteuses sont remontées dans la montagne, au centre de la Sicile peut-être. Comme la petite place du village
autour du cinéma d’Alfredo, s’il n’a pas été remplacé par un grand centre commercial…
Il s’est en allé Alfredo, avec son bon regard de patriarche
et ses grosses lunettes remplies de pellicule. Alfredo et ses mains pour les enfants…
Maintenant, tout le monde l’appelle Salvatore. Mais Totto rêve encore. Revoit
le plein été. Armé d’un gros ciseau piqué dans le tiroir de la mamma, découpe des images censurées. Se les projette dans la chambre noire de ses souvenirs. Il ferme les
yeux. La voix n’est plus là, le tricottage régulier du film en super 8 accroche les mailles et les filets de scènes en noir et blanc aussi nerveux et magnétiques que les doigts
de la Befana sotto le stelle.
Le Ponton : extrait de la version narrative.
« … A Santo Stefano di Camastra, c’est un événement que les enfants attendent, comme la cloche de l’été. Le grand retour de « la Befana
sotto le stelle »[1]…
Les cours sont terminés. Les jeunes rentrent des universités de Palerme ou de Messine, les premiers touristes arrivent et le village commence de se
remplir.
Et la rue résonne d’une activité fébrile. Vieux frocs en velours côtelés, cannes à pommeau, chemisiers d’où pendent croix, médailles, reliques, châles noirs
sur les épaules, bas gris dans les chaussures noires... On tend une main tremblante, on marche paisiblement jusqu’à la Porta Messina, on s’assoit sur un banc…
Spectacle du matin de ce côté-là de la ville…
« Pronto ! », « Ciao ! », « Come stai ? »[2]…
Vespas, Fiat 500, bicyclettes blanches, Saint Christophe sur le guidon, baladeurs, sonneries de téléphones cellulaires, voix nasillardes, chaînes d’or
aux cous, poignets, chevilles, pantalons de flanelle légers, bermudas, jupes virevoltantes, hauts talons, lunettes de soleil éclatantes, on s’embrasse, on s’arrête au bar, «Due
gelati ! », « Due caffé », « Due granità », « Due brioche con gelato »[3]… On se prend par le bras, les hommes comme les femmes, on se parle à l’oreille pour deviser
ensemble des derniers potins d’ici ou d’ailleurs, on se croise, on s’épie, on en rajoute, la conversation engendre la conversation :
- « La municipalité a ouvert un nouveau terrain de camping du côté de Torremuzza…
- Le cinéma en plein air va bientôt
recommencer !…
- Tu te souviens « Cinema
Paradiso » à Cefalù ?…
- Cefalù !… Pour moi, c’est
d’abord la discothèque ! Et la plage !…
- L’adjoint culturel nous réserve de
bons spectacles de théâtre cet été.
- Il connaît des gens hauts placés à
Palerme. Deux pièces de Pirandello sont à l’affiche… »
[1]« La Befana sotto le
stelle » : la « Befana » est un personnage de la tradition italienne associée à la période de Noël. Littéralement :
« la Befana sous les étoiles ». « Due gelati ! », « Due caffé », « Due granità », « Due brioche con gelato » : « deux
glaces ! », « deux cafés ! », « deux granites ! », « deux brioches avec glace ! » (spécialités siciliennes)
[2] « Pronto ! »,
« Ciao ! », « Come stai ? »… : « Allo ! », “Salut !”, “Comment ça va ? »
[3] « Due gelati ! »,
« Due caffé », « Due granità », « Due brioche con gelato » : « deux glaces ! », « deux cafés ! », « deux
granites ! », « deux brioches avec glace ! » (spécialités siciliennes)