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Trouble amoureux : Répétition du 28.11 (4/4)

Publié le par Eric Bertrand

             La scène 2 de l’acte 2, celle de la confrontation entre Tiziana et Salvatore… Ou plus exactement, celle au cours de laquelle Tiziana, piquée par un vent de folie, se dévoile sur le ponton. Comme elle le confie à mots couverts, « au moins, ces planches ont le mérite de jeter le grand jour sur la vérité de chacun d’entre nous…” Gigi avait vu juste, les filles ne jouent plus sur le ponton et, seul avec la froide Tiziana, Salvatore parvient à la troubler profondément !
              Diane réussit à mettre dans sa tirade une précipitation et une nervosité qui soulignent bien le chamboulement de son personnage. A la fin de la scène, fouettée par la jalousie, elle est prête à se donner. Avant l’apparition des trouble-fête, elle se livre à un jeu de la séduction car, pour la première fois, elle se sent belle physiquement.
              Je demande à Diane d’adopter une pause de séductrice. Au début, elle bute sur la phrase : Le soleil caresse ma peau salée. Il y a un petit vent léger sur la mer. Ça me donne de petits frissons sur tout le corps. Je n’ai jamais vu ma peau comme ça ! Il y a de la chair de poule sous les petits poils dressés et du sang qui tape sous la peau… Salvatore, est-ce que tu m’as déjà bien regardée ?... »  Elle avoue ne pas comprendre comment on peut séduire avec une phrase comme celle-là ! Je lui explique qu’au théâtre, on ne parle pas forcément la même langue que dans la vie et que cette phrase, par sa tournure étrange vise à  est une façon de partager à partenaire (et au spectateur) le secret d’un trouble qu’elle ne connaissait pas et qu’elle découvre !
 
« … (Il prend un air inspiré et s’approche un peu plus de Tiziana) N’importe ! Toi, tu es venue jusque là… Alors, regarde vers le large, Tiziana ! Respire enfin ! Est-ce que tu sens, comme moi, ta poitrine qui se gonfle et tes yeux qui se dilatent… (Il lui ébouriffe les cheveux) Comme ça, ça te va mieux ! Ça te donne un air sauvage à tout faire craquer ! Embarquons-nous, Tiziana ! Tes cheveux se soulèvent, ta bouche est humide…
Tiziana : (manifestement gênée par la tournure que prennent les événements !) : puisque tu affirmes que tu as aussi invité Ornella et Lauredana, je vais tout de même leur envoyer un SMS. C’est bête qu’elles ratent l’occasion de s’amuser avec nous.
Salvatore : Tiziana, réfléchis !… Tu es au milieu de l’eau avec moi !... Nous sommes tout seuls et il n’y a pas de portable sur un ponton!
Tiziana : oui, c’est vrai, c’est vrai ! Excuse-moi !... De quoi ai-je l’air maintenant ? Tu dois me trouver bête et hideuse ! Quelle sotte ! Mon rouge à lèvres a coulé, sans doute. Je me suis maquillée sans penser que j’allais nager… Quelle heure est-il ?
Salvatore : sept heures trente... Pourquoi ?
Tiziana : je t’ai demandé l’heure ! C’était juste pour savoir... Tu comprends, ça fait drôle d’être comme ça avec toi, au milieu de l’eau, sans horloge, sans portable, sans maquillage… Ca donne l’impression de dériver… (Toujours un peu gênée) Et Gigi… Tu dis qu’il devait venir ?
Salvatore : oui, il devait venir... Mais il a dû renoncer au dernier moment… Certainement qu’il a eu peur de sauter à l’eau dirons nous… A moins qu’il n’ait déjà plongé, lui aussi …  Pourquoi est-ce que tu t’accroches comme ça au bord du ponton ? Il n’y a pas de tempête et tu ne risques pas de tomber dans l’eau ! (Il fait semblant de la bousculer) Sauf si je te pousse !
Tiziana : (elle regarde ses mains. Sourire gêné) C’est pourtant vrai !... Je ne m’en rendais pas compte !... Tu vois tout toi ! »
 
 
HPIM1019.JPGSei veramente bella, lo sai Tiziana !
 
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B
Ecriture miroir de l’âme, étrange circonvolution des mots et des maux de l’écrivain ; ainsi ressentis-je les pages du Ponton… un devant de scène dupant, faisant croire aux chauds rayons du soleil sicilien, à la douceur des granites et à la beauté caramel des filles de là-bas… Mais tout n’est pas si simple…<br /> Certes « l’été sicilien, clair, ardent et lumineux » commence, avec ses parfums d’agrumes et d’olivier, mais cet été est coincé (page 7) entre le trou noir du néant (« plus d’étoiles la nuit, plus de lune … une étendue grise… un voyage sur un autre globe…) et une tentative de guérison incertaine (« le pouls de l’Etna » et une côte en « fusion » indicateurs typique de maladie !<br /> Même le premier tableau de rue nous promet un « activité fébrile » qui se termine à bien y regarder en assemblée immobile et aux portes des cimetières : « croix », « reliques » « châles noirs », « bas gris »,  « main tremblante », où le « paisible » de la « marche» est inquiétant compte tenu de la main tremblante qui la précède…<br /> Mon dieu ! Francesca ! Fausse vivante, fausse conteuse, qui traîne derrière elle toutes les traces du chagrin et de la mort : (page 12) : « se figea »,  « lèvres rouges…et pendantes », « regard fixe », « le corps raide » ; puis ses yeux tournent dans les orbites, on ne voit que le blanc (page 13), qu’est-ce cela sinon l’agonie et la souffrance du départ… Tout cela est acté et joué page 20, lorsque malgré le spectacle devant théoriquement porter joie et amusement à Santo Stefano, « un profond silence plane », que Francesca se « tait définitivement », dans une « torpeur stupide » et que Carolina lui ferme les paupières, geste mortuaire par excellence, quand même les applaudissements du public, conscient du drame, se font « discrets ».<br /> Page 47, le duo se reforme sur le ponton, avec pour compagnon des abysses inquiétants comme l’Hades (« du fond des eaux, une créature gluante et innommable », il y est question « d’offrandes » et de « paradis qui n’existe pas », tandis que page 48 : « sous les barreaux visqueux, les algues ont poussé et dessinent des silhouettes vagues et lascives qui remontent des profondeurs ».<br /> Page 68, ce même ponton est comme un lieu de passage entre deux mondes, abysses encore et toujours inquiétantes : « les algues vertes montaient toujours le long de l’échelle, éclairaient l’eau d’une teinte un peu fade et trouble », tellement trouble que « il a eu peur de sauter à l’eau … à moins qu’il n’ait déjà plongé lui aussi » ; quel trouble double sens…<br /> Cette eau qui déforme les choses, les rend différentes (page 63) : « dans l’eau, ses pieds et ses chevilles s’étaient légèrement déformées et les jambes de Tiziana avaient enfilé une sorte de bas trouble et translucide. Le Ponton offrait un espace de réverbération et une logique de transparence… ». Limite entre 2 mondes ???<br /> Vision d’un Passage, d’un douloureux passage, fable d’un monde fragile, inconscient et pourtant toujours au bord d’un Abysse effrayant, le Ponton reflète pour moi toutes les angoisses de l’Homme face au monde inconnu de la Mort, laissant un goût amer, au bord de la répulsion face à ces réalités pourtant insondables.
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