“l’Homme qui rit” : le film de Jean-Pierre Améris...Gwynplaine and the wonderland
Le générique s’achève et la caméra plonge l’œil du spectateur vers le bas de la falaise. Tempête. Des hommes pressés embarquent. Abandonnent sur le rivage l’enfant désarmé dont les empreintes se marquent sur le champ de neige qu’il traverse... En écho à ces premières images, à la fin du film, on retrouve les empreintes de Gwynplaine dans la boue. Le chemin mène au fleuve. Comme au début, il rejoint Déa non plus dans la neige mais dans la mort, après la tempête de la vie...
Les images de Jean-Pierre Améris sont soignées, appliquées, esthétiques. Elles visent à restituer par la voie cinématographique quelques-uns des plus forts épisodes de « l’Homme qui rit », roman tourmenté, baroque, dont les 750 pages tremblent d’un romantisme aussi échevelé que le vieux druide de Guernesey.
Gwynplaine, à ce moment enfant spirituel de Jean Valjean et de Monseigneur Myriel, s’arrête au pied d’un crucifix. Images à la Vélasquez pour suggérer la souffrance humaine. Images à la Rembrandt pour descendre au fond de l’intimité de la cahute « green-box », cellule saltimbanque, pour cerner, comprendre, approfondir le visage débonnaire (quelque peu empâté par rapport au modèle initial) du philosophe Ursus (Gérard Depardieu).
Dans un décor hallucinant où se pressent les monstres et les grotesques, sous le kaléiodoscope que fait tournoyer la caméra de Jean-Pierre Améris, le lecteur retrouve à la fois les images du roman et celles des grands films qui ont marqué un certain cinéma influencé par « l’Homme qui rit ». Films de Burton, de Carpenter, silhouettes des malheureux monstres de « Freaks », du Joker, d’« Edward aux mains d’argent », dessins à l’encre réalisés à ses heures perdues ( !) par l’exilé de Guernesey, pendu, château gothique du bord du Rhin, fragments de discours métaphorique, antithétique... tout Hugo au fond d’un encrier : « Gwynplaine, le monstre que tu es au dehors, je le suis au-dedans », « le paradis des riches est fait de l’enfer des pauvres ».
Car au fond, qu’y a-t-il de l’autre côté de ce masque trop net, collé sur le beau visage de Gwynplaine ? Qui se cache derrière la ridicule poupée poudrée que, du jour au lendemain, on a habillée en lord au Pays des Merveilles ? Une figure fracassée par une double identité... Un spectre fantasque tourmenté par son origine... Une « force qui va », qui hante et qui travaille le souvenir et l’imagination inquiète d’un réalisateur ébloui.