« Ridicule », de la cour de Versaille au bling-bling
Après « Valse avec Bachir », revenons sur « Ridicule » auquel j’ai déjà consacré un article récemment (article du 5.11). Je propose au lecteur le bilan d’une activité qui me sert d’illustration en cours : en effet, j’explique aux élèves ce que le « jargon » appelle « la situation d’énonciation » : il s’agit de comprendre en quoi un même énoncé peut changer non pas son contenu mais son « style » en fonction du « destinataire » : la personne à qui on s’adresse... Je commence par un destinataire disons « adulte » puis, demain, je m’adresserai à un destinataire « ado ».
P. Leconte dépeint avec une justesse implacable cette cour du Roi où l'esprit était une valeur recherchée. Une boutade bien placée, un calembour adroitement envoyé, une saillie drolatique tombant à point nommé, et c’était le succès et la gloire assurés. Rien à faire pour échapper à cet impératif : l’esprit de chacun est dans le collimateur du roi et sous l’œil de la caméra.
Intelligent et efficace du début à la fin, « Ridicule » frappe le spectateur par son humour acide. Il le fait assister à cette comédie cruelle où, comme le dit à peu de choses près le comédien Jean Rochefort, les mots sont les « révolvers d’un western » à Versailles. Le cow-boy du bon mot fait mouche s’il surprend son adversaire, mais si, par malheur, le bon mot lui fait défaut, alors il mord inexorablement la poussière.
Malgré la recherche systématique du raffinement, malgré la grâce étudiée des personnages et de leurs maquillages (la poudre neigeant sur la peau sculpturale de la marquise de Blayac dans les premières images) « Ridicule » n’est pas seulement une belle reconstitution historique. Bien plus que les références au passé, les références au présent y abondent. Les grilles du château de Versailles s’ouvrent sur le ballet des apparences. Derrière les rictus, pointe la convoitise exacerbée de chacun. Sous la pointe assassine, la volonté d’écraser un adversaire pour briller davantage et monter toujours plus haut, toujours plus loin. La cour, ce n’est pas Versailles, c’est Dallas, son univers impitoyable.
Les costumes, la poudre, l’éclairage sont d’un parfait effet. Ils donnent à ce film, profondément esthétique, un tremblement inquiétant. Les personnages grimaçants de marquis et d’adroits courtisans écartent le rideau et laissent entrevoir le mécanisme de l’éternelle mascarade, du chatoyant « bling bling » qui fait tourner le monde.