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sports et epopee

Quinze kilomètres de St Martin ou ronde du temps sur Ré la Blanche (1/4)

Publié le par Eric Bertrand

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Port de Saint-Martin de Ré, 18h00, ciel limpide et bleu de carte postale au-dessus d’une petite foule estivale massée tout autour du bassin vers lequel s’élancent, dès le signal, des coureurs expérimentés, des vacanciers surexcités, des amoureux du bord de mer et de l’effort solitaire de fin d’après-midi. Dossard en pavillon sur le torse. Petite puce (de sable ?) sous le lacet des chaussures pour calculer le temps ou simplement remonter le temps... Déjà les mâts tintent sous le vent de marée qu’on annonce déterminant pour le retour. C’est parti pour quinze kilomètres sur Ré la Blanche.

    D’après le parcours, à l’approche de Rivedoux, l’abbaye des Châteliers, du haut de ses murs austères et mystiques, veille sur le sommet du parcours. Figure du Destin, elle met un terme à l’échappée belle et annonce le tournant de la course. Pourtant, depuis la citadelle poussés par le vent arrière, les forçats des sentiers pousseraient bien au-delà des ogives par lesquelles filtre l’azur du ciel, jusqu’au Pont de Ré et même au-delà, sur le vieux port à La Rochelle, acclamés dans le Cours des Dames.

                Cours ! sur les pavés inégaux tout autour du port, et sous les acclamations de la petite foule débraillée, portant chapeaux, lunettes de soleil, débardeurs, maillots de bain, tongues, ambre solaire et MP3. Cours ! sur les remparts, devant la citadelle de Vauban et jusqu’à la plage de la Cible où, petit, tu venais croquer du chocolat et sacrifier des châteaux dans le sable. Tes parents ne sont plus sur les nattes allongés sous le parasol. Ils ont déserté la plage, ils applaudissent avec les autres dans un espace temps qui devient flou sous l’écran des gouttes de sueur et des embruns.

 

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Armstrong sonne de l’olifant... (Intégral)

Publié le par Eric Bertrand

 

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Pendant 7 ans il a semé de l’or sur le tour de France et nous étions nombreux, au cœur de juillet, à saluer les exploits d’un champion au nom à la fois lunaire et antique, lance et fusée Apollo X1... Avant lui, dans la mémoire collective, les Coppi, Bahamontès, Anquetil, Merckx, Hinault, Indurain avaient commencé à écrire les pages de l’épopée du Tour. Tous, au fil des années, portés par les mêmes clameurs de la foule en haut des cols, les explosions d’enthousiasme des journalistes sportifs, les titres des journaux dans le bleu des étés et le théâtre des prouesses écrites sur les pavés, les contre la montre, les cols de légende, Alpe d’Huez,  Galibier, Izoard, Ventoux, Madeleine et ce soupçon de cette douce désinvolture attachée aux années qui ont précédé la lutte anti-dopage et les techniques sophistiquées de dépistage.

                Et puis l’ère Armstrong est arrivée, mais la planète cyclisme reste sensiblement la même.  Le public, toujours aussi prompt à s’embarquer sur le rêve épique, s’est à nouveau emballé : « Armstrong ressuscité », « Armstrong a décroché la lune ! », « Armstrong impérial », « Armstrong inoxydable... ». Comme à l’époque des plus grands, le frisson de la « Geste » écrite par un grand champion d’une trempe différente de tous les autres (il vaincu le cancer...) Sur le Tour de France entre 1999 et 2005, à chaque fois, il écrit un scénario bien réglé. Le récit est simple, implacable, il réserve au spectateur son lot de péripéties, de surprises, d’images fortes (chutes, blessures, coups de barre, grimaces) et puis l’inexorable dénouement, comme au terme d’une œuvre tragique, qui se joue sur fond de bataille et de souffrance.

                Dans l’arène surchauffée, alors que les autres héros tentent parfois un assaut, parviennent un instant à briller puis s’effondrent, lui, en jaune jusqu’au fond des os, le visage appliqué, l’œil d’acier, imperturbable, sort le glaive et inscrit sa victoire. Des chapitres entiers, des fragments d’épopée qu’un Roland Barthes, au seuil des années 2000, aurait sans doute intitulés « Nouvelles mythologies »... Silhouette en bouclier contre les assauts de la route et de ses adversaires, Armstrong est un travailleur forcené, un professionnel dans le sang. Il calcule la victoire, l’analyse avec la précision d’un ordinateur, avertit son « staff » puis met en route cette époustouflante machine à gagner, fait rendre les armes aux plus tenaces de ses adversaires et agace ou éblouit le spectateur.

                Mais le dernier grand champion du Tour, sans le savoir, roulait sous les pignons d’une machine à broyer les rêves, à laminer l’épopée. Fin d’été 2012 : « Armstrong, c’est fini ! » Il est temps de mettre un terme à tous les mensonges ! Quitte à faire tomber tous les étendards qui flottaient au bout de l’horizon. Depuis quelques années, le Tour passe sous les fourches caudines du contrôle absolu. L’esprit a changé, il faut être « pur encolure et pur sang ». On entre dans l’ère exsangue de la transparence. Les nouveaux héros seront irréprochables ou ne seront pas !

                Pas plus que le tour 2011, le tour 2012 ne m’a convaincu... Attendons le chevalier Ajax qui franchira la ligne lavé de tout soupçon et qui pourra saluer la sceptique petite foule des admirateurs sans être suspecté de tricherie. Attendons celui qui saura redonner du rêve, sans pour autant que la meute des détracteurs ne vienne renifler le produit dopant dernier cri... Le spectateur a perdu sa force d’enthousiasme. Le pneu est crevé, il roule désormais à plat derrière les vainqueurs des grands tours. « Untel a gagné... Il est sans doute mieux dopé que les autres ! »

                De toute façon nul ne peut plus résister au contrôle anti-dopage ! Que la lumière soit ! Faut-il pour autant aller déchirer les vieilles pages ? Faut-il étendre le contrôle et remonter la longue route des brillantes années du Tour de France ? Jusqu’à Armstrong ? C’est fait. Et avant ? Rien ?... Hinault ? Fignon ? Anquetil ? Bartali ? Des pantins ? Des bluffeurs ? Tout le « jus épique » lié à la Légende du Tour passe désormais dans l’éprouvette du soupçon. Tout à notre époque s’analyse, se dissèque, s’examine. Au supplément de rêve on préfère le supplément d’analyse. Heureusement, remonter à Coppi, à Francesco Moser, à Stephen Roche pose problème. Les traces se perdent et la Mémoire aime heureusement préserver la dorure des idoles.

                Mais le dernier en date, l’Américain... C’est le bouc émissaire idéal. La victime du cancer qui vainc la maladie et qui effectue, dans la foulée, une carrière flamboyante... Une trop belle histoire, pensez, un scénario à l’américaine !... Le filtre scientifique et le filtre du scepticisme ont rattrapé Armstrong. Dix ans plus tard, on mesure le champion, non à travers l’écran de fumée de l’exploit mais à travers la vitre de l’éprouvette. On dissout du même coup toute cette matière de rêve et de légende qui constituait jadis l’essence des chansons de gestes. Oui, dans le cas d’Armstrong, les éprouvettes ont rendu leur verdict et Roland sonne de l’olifant.

 

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