Une pause avant de reprendre notre histoire de petite fée. C’est jeudi, consacré en général à
la parenthèse répétition de la semaine. Petit comité de fin de période aujourd’hui
avant les vacances et la confrontation avec les semaines décisives. Le temps de réaliser
quelques arrangements sur des zones du texte que j’avais repérées la semaine dernière.
L’entrée en scène de Sheumas par exemple à la scène 2 : il faut contrarier cette tendance finalement naturelle qui consiste
à
dévider le texte trop vite. Le théâtre, c’est aussi l’art des silences. Sheumas entre sur scène, il ne dit rien mais déjà il s’impose par une présence… Sur l’échiquier,
il dépose
son fou et ricane tant que le téléphone n’a pas sonné.
Difficile de ricaner, mais cela vaut la peine… Cela donne au personnage une dimension machiavélique. Il peut
puiser dans ce rire des ressources pour le monologue qui suit, notamment quand il évoque les « pièces de son jeu », le jeu de la réalité : Heather, Max, les filles…Il joue même
avec les nerfs de Ronald qu’on devine crispé à l’autre bout du fil quand il dit :
« Non, Heather n’a vraiment pas l’air inquiète ! Vous êtes bien sûr qu’elle soit enceinte !... En tout cas, elle n’en a pas l’air ! Je la connais bien, elle est d’un
naturel volage ! »
Autre « silence éloquent », à bien marquer, celui de Rebecca, lorsqu’elle récite la
tirade de Lady Macbeth : elle s’empare de l’énergie du démon qu’elle invoque pour mieux se « désexuer » : cela passe par des moments rituels, trois
exactement, qui sont autant de degrés qui conduisent à l’état de transe (souligné par le jambé).
« Venez, venez, esprits qui assistez les pensées meurtrières ! Débarrassez-moi de mon sexe ! Et de la tête aux pieds, remplissez-moi toute de la plus atroce cruauté !
Epaississez mon sang et fermez en moi tout accès à la pitié ! Venez à mes seins de femme prendre mon lait changé en fiel, vous, ministres du meurtre ! »
On retrouve cette exaltation dans le deuxième moment où elle récite le texte, cette fois devant Ronald qui l’a
reconquise. A la faveur d’un lapsus, on en vient avec Julie à proposer un dispositif intéressant du point de vue dramatique : autant la première fois elle s’adressait au
public quand elle disait sa tirade, autant cette fois-ci elle s’adresse directement à son amant pour l’entraîner dans un vertige ambigu dont les connotations sexuelles ne sont
pas absentes. D’autre part, le spectateur perspicace qui a déjà perçu le jeu inquiétant de Ronald comprend toute l’ironie tragique du propos : Rebecca ne sait pas qu’elle
s’adresse à son propre assassin… Ecoutons l’effet du tutoiement dans le texte :
« Viens, viens, esprit qui assiste les pensées meurtrières ! Débarrasse-moi de mon sexe ! Et de la tête aux pieds, remplis-moi toute de la plus atroce cruauté ! Epaissis mon
sang et ferme en moi tout accès à la pitié ! Viens à mes seins de femme prendre mon lait changé en fiel, toi, ministre du meurtre ! »
Merci Julie de ton lapsus !
Croft house and nature... (collection personnelle)