Michon, Carrère et « l’écriture oblique » (2/2)
Reprenons le fil des réflexions inspirées par Michon et Carrère et leur travail sur les destins « minuscules » du tout un chacun...
Quel gâchis de quitter un jour la vie. Souvent l’impression de laisser derrière soi un édifice qui déjà fut. Vue de l’extérieur, la mort n’est souvent qu’un de ces multiples grains de sable qui volent au-dessus de la grand-roue sur laquelle nous tournons tous... Il ne reste aux membres de la famille et aux proches qu’à ressusciter la mémoire de celui ou de celle qui les quitte.
Car ce qu’il y a aussi de tragique dans un départ, c’est que chacun laisse une marque unique appelée tôt ou tard à s’évanouir définitivement. C’est le sens de ce que Pierre Michon indique dans sa préface aux « Vies minuscules » quand il cite Pascal. Le philosophe du « roseau pensant » dit à peu près les choses de cette façon : quand un être meurt, les proches sont « les gardiens du tombeau », et c’est ainsi que Michon, avec son talent particulier, conçoit son métier d’écrivain.
Dans cette ligne d’écriture, je citerais cette page extraite de la « nouvelle pour l’été » signalée hier et consacrée à un homme simple. Richard B. mon grand-père...
« Il n’y a plus personne au quatrième étage du 70, rue du XX° Corps Américain. Peut-être la cour, peut-être la cave, mais plus les marches en bois…
La porte immense du porche veille sur une épaisseur étanche d’époque ancienne.
L’époque où l’on voyait ton élégante épouse laisser courir ses doigts sur la rampe et vos enfants et petits-enfants se précipiter dans l’escalier et le grimper quatre à quatre pour venir vous embrasser.
De la rue du XX° Corps Américain, si on lève la tête, même le samedi matin, entre 10 h 00 et midi, même en ce périmètre tiré au cordeau, plus de torse penché, plus de crâne chauve luisant dans la lumière !
« Qu’est-ce que je suis devenu vieux ! »…
Ainsi te plaignais-tu en voyant les photos des étés passés que je te montrais :
« Eric, ton grand père devient un vieux labris… (Tu dis ça en roulant les « r ») Eric, j’aimais les arbres, les fleurs, les pierres… Eric, je sais encore faire beaucoup de choses et le ciel est encore si beau en cette arrière-saison… »
Pépère, s’il te plaît, avec tes mains de maçon, reconstruis-moi l’escalier ! »