Proust : le bal des têtes (11)
Après cette petite pause et avant de reprendre une série d’articles variés sur Nantes, l’école, les livres... Je reviens un peu sur Proust.
« Je me teignais les cheveux, les sourcils, pour être plus brun, pour faire viril... J’suis bidon ! » le lecteur se souvient peut-être de cette formule d'une chanson de Souchon... Qu'on l'applique à Proust !
« Si certaines femmes avouaient leur vieillesse en se fardant, elle apparaissait au contraire par l'absence du fard chez certains hommes sur le visage desquels je ne l'avais jamais
expressément remarqué, et qui tout de même me semblaient bien changés depuis que, découragés de chercher à plaire, ils en avaient cessé
l'usage.
Parmi eux était Legrandin. La suppression du rose, que je n'avais jamais soupçonné artificiel, de ses lèvres et de ses joues donnait à sa figure l'apparence grisâtre et aussi la précision plus sculpturale de la pierre. Il avait perdu non seulement le courage de se peindre, mais de sourire, de faire briller son regard, de tenir des discours ingénieux. On s'étonnait de le voir si pâle, abattu, ne prononçant que de rares paroles qui avaient l'insignifiance de celles que disent les morts qu'on évoque.
On se demandait quelle cause l'empêchait d'être vif, éloquent, charmant, comme on se le
demande devant le "double" insignifiant d'un homme brillant de son vivant et auquel un spirite pose pourtant des questions qui prêteraient aux développements charmeurs. Et on se disait que cette
cause qui avait substitué au Legrandin coloré et rapide un pâle et triste fantôme de Legrandin, c'était la vieillesse. »