« Journal du 10.08 : j’ai engagé le processus de correction, de
filtrage. Le sentiment d’un texte livré à l’état brut et qui doit passer à
l’affinage. Je comprends la formule de Flaubert qui parle de
« gueuloir » : sans passer forcément par une séance pendant laquelle il faille « gueuler »
au sens propre, néanmoins il faut passer les mots, les phrases, la mise en page, les liaisons, à l’oreille et c’est souvent source
de stridences… Ce sont ces stridences là qu’il
faut modifier…
Dans le travail de relecture, j’insère également quelques notes afin de renseigner le lecteur sur les
quelques mots italiens qui parsèment le texte.
Bambini della Beffana ! Gli stessi amiratori !
Rubrique Goncourt :
Latitudes du lecteur
A partir des propositions des élèves de la Première L
Je me promène dans un Hollywood de la littérature. Le flash des photographes surexpose chaque page. Je glisse sur le
tapis rouge du texte, le strass et les paillettes des mots, la limousine de la syntaxe. J’avance sur le Sunset Boulevard d’un roman lumineux au bout duquel je vois briller, comme sur une
enseigne, le visage tourmenté de Marilyn. Les sables du désert de Mojave rentrent un peu sous mes paupières, mais le moteur des Pontiac, des Buick se mêle à la rumeur des caméras qui filment,
jusque dans mon sommeil et sur mon divan, les stars de Beverly Hills.
Et maintenant, comme un bolide diaboliquement lancé sur le périf parisien, j’avance à toute vitesse dans le
Quartier général du bruit. Les rues peuplées soulèvent des nuées de lettres, toutes emmêlées les unes aux autres. Rêve de tour Eiffel de mots, de quai Branly de métaphores, d’avenue des
Champs-Élysées pavée de livres d’or.
Le lingot s’appelle Alan, et j’effleure de mes doigts un gros livre capitonné comme le siège d’un bus rouge, un bus
anglais qui m’amène hors des sentiers battus. Le bus avance vite, aussi vite que ma lecture du roman dont le trajet est secoué par de rares arrêts et de multiples rebondissements. Je longe les
quais de la Première Fois, je ne vois plus tourner le Big Ben de mon horloge et me plonge avec délice dans le tumulte d’une Tamise amoureuse.
Les lettres s’envolent. Je surfe sur la page nette. Les mots d’amour sont des mails qui s’affichent sous mes yeux.
En haut de mon écran, et de ma conscience, clignote encore une phrase obsédante « je ne t’aime plus »... Les chapitres sont des claviers dont les touches écrivent le scénario d’un long
roman.
La couverture du livre érige une haute barrière à escalader. Mais je grimpe, je grimpe et je m’accroche et je saute
dans le vide. Derrière les fils barbelés des mots, des images, au son d’une syntaxe obsédante, je passe douloureusement dans l’Allemagne de 1939.
Tout est autour de moi, aride, tourmenté. Une lourde atmosphère... Je m’enfonce dans l’Afrique profonde d’un autre
livre. De page en page, le tam-tam de mon cœur accélère la cadence… Je veux savoir, je veux tout savoir, je veux tout savoir... Je marche vite, je suis maintenant dans l’Afrique de ma passion et,
frénétique, je me dirige vers le Mboasou. J’aperçois enfin quelques familles, je discute avec une petite fille. Elle a dix ans. Elle est belle et têtue, elle me ressemble… Je ne renoncerai
pas ! Moi non plus, je ne renoncerai pas ! La pluie de l’émotion envahit la page… Une pluie diluvienne qui embue les yeux et coule sur les joues. Et au fur et à mesure que je tourne les
pages, et que le tam-tam continue de cogner, j’enfonce les doigts dans la boue du vice et du crime.
Faire ses valises pour partir en voyage, partir loin d’ici, partir et aller vers les mille et unes pages de
l’Orient. Glissée entre deux oreillers, chaque page est une minute passée à dos de chameau en quête de vestige passé. Où suis-je ? J’ai beau regarder à l’horizon, fermer et rouvrir les yeux,
même les frotter…je n’aperçois que du sable, aucune trace de pas…je me retrouve seule dans ce Sahara de lecture. Mais la lecture est un oasis. Après le désert aride des autres romans, je me
désaltère avec délices de ses eaux dorées sous laquelle règne le soleil inversé de Lawrence d’Arabie. Sous le coin de chaque page, une ombre, celle d’un homme… je le devine tout au long de ma
lecture, je le vois s’approcher. Il me relève, me donne à boire. Je veux toucher son visage, je m’en approche, j’y suis presque, plus que quelques centimètres…ce que je touche, c’est mon livre.
Réaction de collègue : Merci à tous pour vos messages, vos envois, vos expériences. Cela soutient,
surtout lorsque les conditions matérielles ne sont pas toujours favorables à une entreprise comme celle du Goncourt des lycéens. Le lycée Jean Lurçat, en réfection, vit un véritable maëlstrom
depuis la rentrée: algécos minuscules où s'entassent 35 élèves pour remplacer les salles de cours en reconstruction, boue et eau dans ces mêmes algécos lors des premières intempéries
méditerranéennes, absence de sonnerie pour marquer le début et la fin des cours , marteaux piqueurs et scies pour rythmer nos cours et nos lectures, déménagements et emménagements
successifs ( car les travaux se font par tranches), bref, certains jours on ne sait plus trop où on en est. Pourtant, le CDI neuf est ouvert aux élèves du Goncourt avec un coin où ils
peuvent se réfugier pour lire (ils bénéficient de fauteuils et d'une moquette!) et le proviseur nous est très favorable. Quant aux collègues leur collaboration est plus variable. Il faut dire que
la situation est telle que tout le monde est à cran.
Nous avons ouvert un blog car la classe Goncourt, classe de seconde est partagée en deux options, MPI et sciences humaines. J'ai pensé ( mais,
ai-je bien pensé?) qu'un blog, au lieu d'un journal de bord de papier, motiverait plus les tièdes et fédérerait une classe un peu hétérogène. Pour l'instant, je rame pas mal, le blog
n'enthousiasme pas les foules!
Nous avons fait une table ronde destinée à faire le point sur les premières lectures, puis un débat au sujet de Supplément au roman national car Jean Eric Boulin
sera l'un des écrivains invités par la FNAC prochainement. Nous prévoyons un café littéraire : trois romans au programme, plusieurs élèves pour
les présenter et lire quelques passages, puis débat, le tout accompagné de chocolat chaud et de quelques nourritures terrestres gracieusement offertes par la FNAC. Le café en question
doit débuter à 8 heures du matin.
Les romans les plus lus sont pour l'instant, Disparition, assez unanimement apprécié, Journal d'une hirondelle, très controversé, Quartier général du bruit, choisi pour sa bièveté et aussitôt abandonné par la majorité des élèves qui disent
ne rien y comprendre. Les Bienveillantes, choisi courageusement par plusieurs
élèves dès le premier jour, est très apprécié.
J'essaie personnellement de tenir la cadence et j'avoue ma très nette préférence pour Fils unique qui m'a séduite pour sa qualité d'écriture .
Voilà pour ce petit tour d'horizon. Nous avons d'autres projets mais, pourrons-nous les mener à bien dans une atmosphère aussi tendue
?
Bonne lecture à tous. Continuez à donner de vos nouvelles, vous lire est toujours encourageant et réconfortant.