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Baudelaire laboureur

Publié le par Eric Bertrand

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Quand il est comblé de douleur,
Je fume comme la chaumine
Où se prépare la cuisine
Pour le retour du laboureur.

Les Fleurs du Mal (la Pipe)

            

             Malgré ses allures paresseuses de dandy souffreteux et ses humeurs noires de sédentaire, Charles Baudelaire est un laboureur infatigable. Le muscle nerveux, le poignet ferme, la tempe frémissante, il fouille inlassablement le champ du langage. Tout part du haut de l’échine chez cet athlète de la poésie qui est aussi un fou de sensations fortes. Le corps en lui palpite, quête, épie, écoute, traque, « mange des cheveux bleus ». Et le voilà qui lâche prise, quitte l’herbe rase, « le port », lâche le soc ou la quille et se déroute « vers de charmants climats ».

             Après la fatigue du champ, le soir venu, au lieu de fermer les yeux tout de suite et de s’abandonner à la paresse, le laboureur esthète recueille, écrase, ensemence et se fabrique sa fumette de poudre d’or : « Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or ». Les sens en éveil, les nerfs en pelote, « les poumons gonflés comme de la toile », « il met à la voile » et creuse les sillons de l’imaginaire. Le navire n’est pas « ivre » comme il le sera chez Rimbaud, il remue, retourne et fend la terre fertile ou le flot.

             Dans les poèmes des Fleurs du mal, la mer n’est qu’un prétexte, le bateau qu’une image. Derrière la chimère de l’océan, le poète laboureur qui étend enfin les jambes dans le calme de « la chaumine » respire la moisson d’une maîtresse, vide le fond d’un verre de vin, palpe le culot d’une pipe de hachish.

             Femmes, vins, pipes, ces capteurs de sensations s’emparent du solide laboureur. « Homme libre, toujours tu chériras la mer »… Il n’est plus qu’un contemplatif, un « hibou » méditant sur une terre magistralement labourée :

« Vous croyez être assis dans votre pipe et c’est vous que votre pipe fume. Une question : comment sortirez-vous enfin de cette pipe ? »

             Les poémes de Baudelaire fleurent bon l’Amsterdamer et la terre fraichement remuée... Laissons les derniers vers du poème : « les Hiboux » faire volute :

 

Leur attitude au sage enseigne
Qu'il faut en ce monde qu'il craigne
 Le tumulte et le mouvement ;
   
 L'homme ivre d'une ombre qui passe
 Porte toujours le châtiment
 D'avoir voulu changer de place.

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J
<br /> <br /> toujours un grand plaisir de lire les vers (et la perception que tu en as !) de ce cher Charles !<br /> <br /> <br /> <br />
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