La Bretagne de Renan (1/2)
A l’origine de mes recherches sur le celtisme, il y a Ernest Renan... à qui j’ai rendu « une petite visite » au cours de mon récent séjour en Bretagne... Dans son "Essai sur la poésie des races celtiques", il commence par définir une zone géographique particulière qui n’a cessé de m’attirer par la suite.
Lorsqu'en voyageant dans la presqu'île armoricaine on dépasse la région, plus rapprochée du continent, où se prolonge la physionomie gaie, mais commune, de la Normandie et du Maine,
et qu'on entre dans celle qui mérite ce nom par la langue et la race, le plus brusque changement se fait sentir tout à coup. Un vent froid, plein de vagues et de tristesse,
s'élève et transporte l'âme vers d'autres pensées ; le sommet des arbres se dépouille et se tord ; la bruyère étend au loin sa teinte uniforme ; le granit perce à chaque pas un sol trop maigre pour le revêtir ; une mer presque toujours sombre forme à l'horizon un cercle d'éternels gémissements(…)
Et par souci d'exactitude, Renan prend soin de préciser dans une note, dans quelles régions du monde et pour quel type de civilisation il fait son analyse :
Pour éviter tout malentendu, je dois avertir que par le mot "celtique", je désigne ici non l'ensemble de la grande race qui a formé, à une époque reculée, la population de presque tout l'occident, mais uniquement les quatre groupes qui de nos jours méritent encore de porter ce nom par opposition aux germains et aux peuples néo-latins. Ces quatre groupes sont : 1° les habitants du pays de Galles et la presqu'île de Cornouailles portant encore de nos jours l'antique nom de "Kymris" ; 2° les Bretons bretonnants ou habitants de la Bretagne française parlant bas breton, qui sont une émigration des Kymris du Pays de Galles ; 3° les Gaels du Nord de 1'Ecosse parlant gaélique ; 4° les Irlandais, bien qu'une ligne très profonde de démarcation sépare 1'Irlande du reste de la famille celtique.
Après avoir délimité l'espace géographique, il propose une définition de l'imaginaire celtique afin de bien distinguer ce qui le caractérise :
I1 semble que l'on entre dans les couches souterraines d'un autre âge (...) On ne réfléchit pas assez à ce qu'a d'étrange ce fait d'une antique race continuant jusqu'à nos jours et
presque sous nos yeux sa vie dans quelques îles et presqu'îles perdues de l'occident (...) On oublie surtout que ce petit peuple, resserré maintenant aux confins du monde, au milieu
des rochers et des montagnes où ses ennemis n'ont pu le forcer est en possession d'une littérature qui a exercé au Moyen Age une immense influence, changé le tour de l'imagination européenne et imposé ses motifs poétiques à presque toute la chrétienté (...) La civilisation de Rome les atteignit à peine, et ne laissa parmi eux que peu de traces. L'invasion germanique les refoula mais ne les pénétra point. A l'heure qu'il est, ils résistent encore à une civilisation bien autrement dangereuse, celle de la civilisation moderne (...)