Lettre pour représenter « Cyrano »
Voici une proposition de réponse au sujet donné hier sur ce blog...
Le directeur de la troupe les Cadets
A Mr le Maire de la ville de Tréguier
3 juin 2011
Monsieur le Maire,
J’ai l’honneur de vous présenter mon projet de mise en scène de la célèbre pièce « Cyrano de Bergerac » que je viens de monter avec une troupe de jeunes comédiens, tous désireux de partager la passion qu’ils nourrissent pour ce texte dont les intérêts sont multiples pour une commune comme la vôtre. C’est justement dans le but de vous le montrer (et peut-être même de vous surprendre) que je vous adresse ce courrier.
Est-ce un fait exprès, votre commune se prête admirablement à l’acte 5 qui baigne dans la mélancolie et le sentiment du temps perdu. Vous vous souvenez sans doute que Roxane s’est retirée au couvent. Tous les jours, elle attend son vieil ami qui lui rend fidèlement visite comme le fantôme de ses amours. En parcourant la vieille ville de Tréguier et le cloitre que possède la cathédrale, j’ai trouvé que cet endroit fournirait le cadre idéal pour cette ultime rencontre. Il suffirait de prévoir pour cela un « cheminement » des spectateurs dans le centre-ville, cheminement dont le point culminant se tiendrait précisément dans le cloitre.
Rêvez avec moi Mr le Maire, et imaginons ensemble le beau recueillement de cette foule ravie, émue jusqu’aux larmes par l’histoire romantique des deux héros de la pièce qui n’ont pas su dépasser le stade de l’amour platonique. L’amant reste dans l’ombre et lit les mots écrits pour la seule femme de sa vie. « Grâce à vous, une robe est passée dans ma vie » lui avoue-t-il... Dans le discours de Cyrano, la force de la passion offre à tous ceux qui ont connu le véritable amour un vrai festival de mots et d’émotions. Aucun spectateur, aucune spectatrice ne peut rester froid devant un tel déferlement de passion. En fermant les yeux, dans le soir qui tombe, imaginez ce que chacun peut ressentir en recevant cette pluie d’images et de mots doux, même s’il ne les comprend pas tous...
Il sera tard. Minuit sonnera au clocher, la lune brillera au-dessus de la petite ville dont vous êtes l’heureux représentant. La pièce ira vers son dénouement. Les spectateurs seront alors invités à suivre les comédiens jusque sur la petite place en face de la cathédrale pour entendre les dernières tirades de Cyrano, tirades adressées à « la lune opaline » qui « ose regarder son nez ». Derniers soubresauts d’un personnage dont la vigueur résonne au fond de chacun, personnage pur, intransigeant, qui ne supporte ni la flatterie, ni la corruption, ni la soumission. Personnage fier et honnête qui, du haut de ses discours, invite depuis le début au dépassement de soi. N’est-ce pas là, Monsieur le maire, la mission véritable du théâtre ? L’invitation à l’élan et à l’enthousiasme ? Croyez-moi, si le ciel breton le permet, ce soir là, la lune de Tréguier sera la complice d’une action de gloire !
« N’importe : je me bats ! je me bats ! je me bats »
Mais pour redescendre sur terre, Mr le Maire, comprenez bien que si vous acceptez ma proposition, vous ne direz pas simplement « oui » à une représentation théâtrale, vous ouvrirez la porte à un parcours à double face : celui qui aura lieu dans les rues du centre ville de Tréguier et celui qui aura lieu au fond des âmes, dans cette part intime que le grand Molière appelait « l’instruction » quand il affirmait que la comédie, tout en divertissant, « instruisait ».