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Proust : le bal des têtes (20 / 25)

Publié le par Eric Bertrand

                   Il faut cependant faire cette réserve que les mesures du temps lui-même peuvent être pour certaines personnes accélérées ou ralenties. Par hasard j'avais rencontré dans la rue, il y avait quatre ou cinq ans, la vicomtesse de Saint-Fiacre (belle-fille de l'amie des Guermantes). Ses traits sculpturaux semblaient lui assurer une jeunesse éternelle. D'ailleurs elle était encore jeune.

                  Or je ne pus, malgré ses sourires et ses bonjours, la reconnaître en une dame aux traits tellement déchiquetés que la ligne du visage n'était pas restituable. C'est que depuis trois ans elle prenait de la cocaïne et d'autres drogues. Ses yeux profondément cernés de noir étaient presque hagards. Sa bouche avait un rictus étrange. Elle s'était levée, me dit-on, pour cette matinée, restant des mois sans quitter son lit ou sa chaise longue.

                  Le Temps a ainsi des trains express et spéciaux qui mènent vite à une vieillesse prématurée. Mais sur la voie parallèle circulent des trains de retour, presque aussi rapides. Je pris M. de Courgivaux pour son fils, car il avait l'air plus jeune (il devait avoir dépassé la cinquantaine et semblait plus jeune qu'à trente ans). Il avait trouvé un médecin intelligent, supprimé l'alcool et le sel ; il était revenu à la trentaine et semblait même ce jour-là ne pas l'avoir atteinte. C'est qu'il s'était, le matin même, fait couper les cheveux.Chose curieuse, le phénomène de la vieillesse semblait, dans ses modalités, tenir compte de quelques habitudes sociales.

                  Certains grands seigneurs, mais qui avaient toujours été revêtus du plus simple alpaga, coiffés de vieux chapeaux de paille que de petits bourgeois n'auraient pas voulu porter, avaient vieilli de la même façon que les jardiniers, que les paysans au milieu desquels ils avaient vécu. Des taches brunes avaient envahi leurs joues, et leur figure avait jauni, s'était foncée comme un livre.



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J
<br /> j'aime bien l'image du visage puzzle ! ce dont on se rend compte également dans ce passage, c'est que Proust décrit une société vieillissante dans un monde en total mutation (cf : les chapeaux<br /> que même les bourgeois n'auraient pas portés !) : c'est également ce que décrit Zola, en amont, la richesse aristocratique ne dépend plus de la terre mais des titres détenus ; elle<br /> est donc mise à mal par la spéculation, immobilière principalement !<br /> <br /> <br />
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