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Proust : le bal des têtes (25)

Publié le par Eric Bertrand

                          Avant la rubrique « article du mois », terminons avec Proust afin de boucler la série des 25 reprises du « Bal des têtes » !

                         A côté de nous, un ministre d'avant l'époque boulangiste, et qui l'était de nouveau, passait lui aussi, en envoyant aux dames un sourire tremblotant et lointain, mais comme emprisonné dans les mille liens du passé, comme un petit fantôme qu'une main invisible promenait, diminué de taille, changé dans sa substance et ayant l'air d'une réduction en pierre ponce de soi-même.

                         (...) Mme de Forcheville avait l'air d'une rose stérilisée. Je lui dis bonjour, elle chercha quelque temps mon nom sur mon visage, comme un élève, sur celui de son examinateur, une réponse qu'il eût trouvée plus facilement dans sa tête. Je me nommai et aussitôt, comme si j'avais perdu grâce à ce nom incantateur l'apparence d'arbousier ou de kangourou que l'âge m'avait sans doute donnée, elle me reconnut et se mit à me parler de cette voix si particulière que les gens qui l'avaient applaudie dans les petits théâtres étaient si émerveillés quand ils étaient invités à déjeuner avec elle, "à la ville", de retrouver dans chacune de ses paroles, pendant toute la causerie, tant qu'ils voulaient.

                          Cette voix était restée la même, inutilement chaude, prenante, avec un rien d'accent anglais. Et pourtant de même que ses yeux avaient l'air de me regarder d'un rivage lointain, sa voix était triste, presque suppliante, comme celle des morts dans l'Odyssée. Odette eût pu jouer encore. Je lui fis des compliments sur sa jeunesse. Elle me dit : "Vous êtes gentil, my dear, merci", et comme elle donnait difficilement à un sentiment, même le plus vrai, une expression qui ne fût pas affectée par le souci de ce qu'elle croyait élégant, elle répéta à plusieurs reprises : "Merci tant, merci tant."

                           D'ailleurs il n'y avait pas que chez cette dernière qu'avaient apparu des traits familiaux qui jusque-là étaient restés aussi invisibles dans sa figure que ces parties d'une graine repliées à l'intérieur et dont on ne peut deviner la saillie qu'elles feront un jour au-dehors. Ainsi un énorme busquage maternel venait chez l'une ou chez l'autre transformer vers la cinquantaine un nez jusque-là droit et pur. Chez une autre, fille de banquier, le teint, d'une fraîcheur de jardinière, se roussissait, se cuivrait, et prenait comme le reflet de l'or qu'avait tant manié le père.


 

 

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M
<br /> Résumons!<br />  Donc, si vous me croyez , mignonne<br />  tandis que votre age fleuronne en sa plus verte nouveauté<br />  cueillez cueillez votre jeunesse,<br />  comme à cette fleur, la vieillesse<br />  fera ternir votre beauté.<br />      Maw<br /> <br /> <br />
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M
<br /> Résumons , ce bal des têtes!par ce merceilleux poème de Ronsard!<br />   donc, si vous me croyez mignonne,<br />  tandis que votre âge fleuronne,<br />  en sa plus verte nouveauté,<br />  cueillez, cueillez votre jeunesse, comme à cette fleur,<br />  la vieillesse fera ternir votre beauté.<br />           Maw<br /> <br /> <br />
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J
<br /> les taits paternels ou ùmaternels qui accusent le coup avec l'âge ! on se glisse tous dans le costume de l'un ou de l'autre de ses parents ! une perspective peu réjouissante mais souvent juste<br /> !<br /> Une "réduction en pierre ponce de soi-même" : encore une expression incontournable, d'une incision digne d'un scalpel !<br /> Sacré docteur Proust ! <br /> <br /> <br />
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