Sobibor, la souffrance et l’anorexie
Les médias suivent ces jours-ci le procès de l’un des derniers criminels nazis ayant sévi dans le camp d’extermination de Sobibor. « Sobibor », c’est aussi le nom d’un film de Claude Lanzmann évoquant un cas unique de rébellion de prisonniers juifs contre le système qui visait à les tromper... « Sobibor », c’est aussi le nom d’un bon roman de Jean Molla que je viens de terminer.
Le livre met en scène une adolescente, Emma, qui, consécutivement à la mort tragique de sa grand-mère, souffre d’anorexie. Mais l’anorexie n’est qu’un masque sordide... A l’occasion de la lecture d’un journal intime qu’elle ouvre de façon fortuite, elle découvre en effet, qu’inconsciemment, elle est rongée par un mal familial, en d’autres termes, elle porte en elle sans le savoir, le spectre des camps d’extermination...
Ce que l’auteur semble indiquer surtout, à travers « la fable » de l’anorexie, c’est que le corps souffrant de l’adolescente, par sa maigreur, son rachitisme, son immense fragilité, incarne la Souffrance telle qu’elle a été vécue par les victimes du génocide... Quand il se souvient de ses semblables à son arrivée au camp d’Aushwitz, l’écrivain Primo Lévi évoque dans « Si c’est un homme » un défilé de pantins en vêtements rayés...
J’avais été sensibilisé à cette marque de l’inconscient dans la chair à travers le beau roman de Philippe Grimbert : « un Secret » dans lequel le narrateur explique qu’il n’a pu grandir et se libérer de son corps souffrant qu’au moment où il a connu toute la vérité sur son histoire familiale.
De la
même façon, Emma peut grandir à la fin de « Sobibor ». Elle peut se faire vomir une dernière fois lorsqu’elle a enfin compris que son grand-père était l’un des bourreaux du camp et que, dans ces circonstances, il a rencontré celle qui allait devenir la grand-mère d’Emma, à l’époque jeune et jolie Polonaise,
embauchée au service de SS implacables et tout puissants...