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Julien Clerc Symphonique : « Là tout n’est qu’ordre, calme, luxe et volupté »

Publié le par Eric Bertrand

La scène se passe à l’Opéra Garnier. Un piano noir, sobre, silencieux, médite. Au lever de rideau, le spectateur s’attend à retrouver cette voix si particulière, ces mélodies, ces mots de Julien Clerc qui ont, au fil des années, créé un univers et qui lui refont, à chaque écoute, descendre le grand fleuve...C’était il y a combien d’années ? Dix ans ? Vingt ans ? Cinquante… de toute éternité. Car dans le spectacle « Symphonique », il y a quelque chose de presque onirique qui prend aux cheveux. Dans un décor propice à la « majesté théâtrale », c’est une grâce, comme  un « Songe d’une nuit d’été » qui descend sur la scène.

             Conscient de la magie du moment et après les premières chansons, Julien Clerc quitte le piano, s’approche et cite un texte de Charlie Chaplin, texte dans lequel il est question des artistes : « Les écrivains sont muets car ils gardent leurs effets pour les pages de leurs romans. Les savants choisissent le silence car ils savent que leur réputation pétrifie ceux qui les entourent. Les peintres se trompent de sujet parce qu’ils jouent les philosophes. Au bout du compte, seuls les musiciens sont en mesure de capter le immédiatement l’attention public. Il n’y a rien de plus facile et de plus émouvant que le spectacle d’un orchestre... » Et quand ce spectacle passe par la réorchestration des mélodies de Julien Clerc, il se produit dans l’âme du spectateur, une sorte de prodige, équivalent à l’effet que produit la musique d’après Baudelaire...

 

La musique souvent me prend comme une mer !
Vers ma pâle étoile,
Sous un plafond de brume ou dans un vaste éther,
Je mets à la voile;

La poitrine en avant et les poumons gonflés
Comme de la toile
J'escalade le dos des flots amoncelés
Que la nuit me voile (...)

 

             La caméra tourne doucement, promène le spectateur sur tous les coins de l’espace. Détails des instruments, cuivres, violoncelles, guitares, trombones, trompettes, castagnettes... Velours rouge des sièges, marbre des statues. Gros plans sur les visages... Fin maquillage, yeux charbonneux, rouges à lèvres sur jolis sourires. Beaucoup d’émotion, joue contre le violon, œil sur la partition, genou contre le violoncelle... Les yeux se ferment, la musique doucement monte jusqu’aux dorures de l’Opéra Garnier. Visages jeunes des musiciens plongés en eux-mêmes, maitres absolus de l’instrument qui les fait vibrer. Visages inspirés, peu à peu familiers, acteurs et actrices de tout un répertoire.    Fond de lumière bleutée qui semble remonter le fil du temps, profils gracieux des musiciennes dont la grâce et l’élégance s’ajoutent aux harmonies. Jeunes femmes peut-être suscitées par les chansons, « fille de la véranda », « fée qui rend les femmes belles », « veuve de Joe Stan Murray », « Andalouse » tout en noir. « La Belle est arrivée » dans le décor d’un film de Cocteau...

             Dans les renfoncements somptueux des loges derrière les colonnes, sur la scène et sous les projecteurs, silhouettes botticelliennes, « quelle heure est-il marquise ? », « Femmes, je vous aime ! » Visages éblouis, hallucinés, parfois un sourire, mouvement souple et lent de la gorge, caméra qui tournoie, effets multiples des lumières, rouges, jaunes, vertes, bleues. Par moments, le piano noir revient seul, séparé des musiciens par une gaze d’un rouge léger qui irréalise les contours, offre, derrière cette paroi aux lueurs d’aquarium, un spectacle d’ombres chimériques.

             Ciel étoilé, pailletage du sol, visage doré sous la lumière jaune de la violoncelliste dont les lourds cheveux bruns te rappellent le visage encore jeune à cette époque de ta grand-mère. Tu avais dix ans et elle fredonnait « le Patineur ». Tu étais fier de lui avoir fait découvrir Julien Clerc... Revoilà la gaze qui descend et sépare à nouveau les musiciens. Tout l’imaginaire de la musique et des chansons dans un même écrin... Créatures qui ne seraient, dans cette lumière feutrée, que bulles sonores appelées à remonter à la surface et à déferler en rêve de musique. Extraordinaire recueillement du public. Des anges passent, ils ont le visage des anges de Chagall peut-être acteurs de la métamorphose finale…

             Evanouis toutes les musiciennes, tous les dandys, chemises blanches, fourreaux noirs, cheveux bien peignés, vaporeux, gestes mesurés. Instruments debout, graves et solitaires, recueillis. Sur une autre scène, la lumière et la musique remontent le temps. Guitares et harmonicas jetés dans l’herbe. « Laissez laissez entrer le soleil ! Laissez laissez ! Let the Sun shine ! The sun shine ! » Combien de chemins parcourus depuis « Hair », combien de lumières psychédéliques et combien de fleurs dans les cheveux !

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