Raconter l’aventure de Rimbaud dans « le Coffre de Rimbaud »
« Pourquoi avez-vous écrit un énième livre sur Rimbaud alors qu’il en existe déjà tant ? » C’est à peu près la question que m’a posée l’un des visiteurs d’un salon auquel je participais et où je présentais notamment « le Coffre de Rimbaud » qui se vend toujours bien.
Question essentielle… Qui ramène aux origines de cette poussée qui fait qu’on est amené à travailler longtemps, (très longtemps !) plume et livres en main pour essayer de cerner le mystère… Je vais essayer de répondre en quelques lignes…
D’abord, écrire sur Rimbaud, c’est essayer de résoudre l’énigme de cet homme qui a tant fait de choses en si peu de temps, qui est allé si loin, tant dans l’espace que dans la poésie à une époque où n’existaient ni avions, ni TGV, ni ordinateurs, ni GPS. Essayer de le « tracer » dans l’espace à partir du moment où il quitte l’Europe, c’est ce que j’ai voulu faire en m’appuyant sur tous les documents que je pouvais utiliser.
Ensuite, et inévitablement, cette aventure humaine m’a amené à clarifier du mieux que j’ai pu son « message poétique » que la plupart des lecteurs disent incompréhensible. Difficile certes, mais pas incompréhensible…
A aucun autre poète que lui, en effet, le mot « quête » convient aussi bien tant sa courte existence est intimement liée à l’idée d’une quête forcenée de la poésie et de l’ailleurs. Relisons par exemple ces mots extraits du poème « Vagabonds » : « moi, pressé de trouver le lieu et la formule »… Cet aspect correspond à l’un des traits qui aliment le mythe Rimbaud. Et il est intéressant de noter à quel point chacun de ses textes semble alimenter l’objet de la quête et en fournir l’anticipation.
- La poésie, c’est dans « les Cahiers de Douai » la révélation des forces de l’imaginaire suscitées à la fois par la nature (« ma bohème » et « Sensation ») et par l’expérience des sens (« Au Cabaret vert »). Cet état de jubilation, de bonheur et de grâce produit l’image d’un jeune poète désinvolte et comblé, qui ressent à la fois l’ivresse poétique et qui se sent consacré par la « Muse », capable de jouer les virtuoses avec les « élastiques » de ses souliers et de composer de beaux poèmes dans le genre de ceux de ses maîtres.
- La poésie se confond dans l’esprit du poète avec le sentiment de liberté. Elle implique une libération par rapport aux contraintes : tout le poème « les poètes de sept ans » indique cette volonté de mettre « la voile » et de tourner le dos définitivement à ce qui « oppresse » l’enfant. Les provocations diverses et les moyens qu’il trouve pour exprimer sa « soif » (le mot revient souvent dans la poésie de Rimbaud) sont multiples : exil dans les latrines, complicité du jardinet, des espaliers, lecture, écriture, érotisme exacerbé, illustrations diverses… Autant de ressources pour préparer cet imaginaire.
- La poésie, c’est l’explosion. A la fin des « Poésies », « le Bateau ivre » marque une rupture définitive non seulement avec son milieu mais aussi et surtout avec la poésie de son époque, la poésie cadencée et ordonnée du Parnasse ou sentimentale des romantiques (ceux-là même que René Char baptise les « pisse-lyres »). L’horizon, c’est « le poème de la mer ». Lieu détonnant où le langage se fond, comme la « carcasse ivre d’eau » du bateau. Le jeune poète impétueux veut l’impossible, il s’abandonne corps et âme à ce « dérèglement de tous les sens » qu’il a toujours appelé depuis les Lettres du voyant, mais il va encore plus loin, il se veut « voleur de feu », « horrible travailleur » prêt à la mutilation à l’image des « Comprachicos », monstres torturés qu’il a regardés en face dans Hugo. La poésie est le laboratoire dans lequel s’accomplit « l’alchimie du Verbe ». Ce que, avec un soupçon de provocation, il a prétendu réaliser dans ces lettres un peu cabotines adressées à des lettrés en place, il le raconte à sa façon dans l’épreuve du « poème de la mer » dans la mesure où l’expérience est traumatisante et destructrice, pleine de « tohu-bohu ». Elle raconte à sa façon une autre expérience de damné, celle du recueil « une Saison en enfer » dans lequel à nouveau, Rimbaud déchire ce qu’il a fait pour dire « adieu à la poésie ». Ce renoncement ou cette résilience face à l’épreuve correspond à sa façon au dernier moment du « Bateau ivre » quand le poète renonce à la mer et à « l’inconnu » et laisse exprimer une sorte de nostalgie.
- L’aventure en poésie l’a-t-elle mené trop loin ? Peut-il prétendre aller encore de l’avant ? Peut-il renoncer pour autant alors qu’il n’a que vingt et un ans ? La poésie c’est la quête de l’impossible que semble raconter à sa façon le poème « Aube » extrait des « Illuminations ». Dans « les Illuminations », Rimbaud rapporte des expériences « inouïes » et fait défiler des visions hallucinantes. Il se fond un peu dans cette figure imaginaire du « Génie » qui est l’incarnation de son rêve de poésie absolue (voir le poème du même nom). On peut en tout cas interpréter « j’ai embrassé l’aube d’été » comme le récit de cette aventure indicible dont il ne reste que le sentiment d’échec en même temps que le rêve d’un langage qui s’éveille et prolifère dans l’esprit d’un poète « au front de palais »…
L’histoire de ces cinq années de poésie chez Rimbaud, c’est l’histoire d’une fulgurance. Et aussi d’un « Ephémère » pour reprendre le titre d’un poème de Brissenden, modèle absolu du poète dans le « Martin Eden » de Jack London. Rimbaud est un « éphémère » qui laisse derrière lui couler ce « pactole » poétique, fleuve magique qui, dans la mythologie, était censé donner de la richesse à celui qui s’y baignait. Mais Rimbaud n’aime pas la thésaurisation. Comme il l’écrit dans l’un de ses derniers poèmes, il livre tout son barda en « Soldes ». A lui le temps du « grand désert où luit la Liberté ravie », à lui « la prairie amoureuse »… Sans doute cherchait-il encore, au fond de son Abyssinie, comme le fera après lui Théodore Monod, cette drôle de météorite qui donne un sens à toute une existence, l’Idéal.