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La marche d’Indianapolis

Publié le par Eric Bertrand

« Nous avons besoin d’un sentiment de justice envers ceux qui souffrent, qu’ils soient blancs ou qu’ils soient noirs ». C’est l’une des formules de paix qu’en 1968, au soir de la mort de Martin Luther King, Robert Kennedy prononçait à Indianapolis, devant une foule à majorité noire.

             Si parfois les mouvements de l’Histoire semblent se répéter, observons de près ses acteurs. Ce n’est en ce mois de juin 2020 ni la même victime, ni le même président ni surtout le même discours. Mais la même impression de piétinement et d’impatience qui fait frissonner l’Amérique et le reste du monde. George Floyd, s’écrie en tombant : « I can’t breathe… », et aussitôt tous ceux qui souffraient, se sentaient étouffés, humiliés, se dressent par instinct pour marcher.

             Marcher, pour un jour enfin ne plus piétiner. Marcher en collectif, du même pas que les autres, avec le même regard et au même rythme. Quand on met un pied devant l’autre, c’est la même ombre sous le soleil. Depuis les premiers pas, il suffit de se tenir debout, bien droit, de sentir ses jambes et ses talons et de tourner le dos au passé et de regarder vers l’horizon.

             Marcher du côté d’Indianapolis ou d’Atlanta ... La société est cruelle, la chanteuse noire Billie Holiday le chantait bien, « les arbres du sud portent un fruit étrange avec du sang sur leurs feuilles et du sang dans leurs racines ». Marcher pour secouer les branches, mettre du vent dans les semelles et des mots d’Aimé Césaire dans la tête. Tourner le dos à l’asservissement. Marcher avec Montesquieu, avec Voltaire, avec Rousseau. Écraser la boue de la barbarie, soulever le gravier des fanatismes. Quand on marche, on revient à l’humain et à la plante des pieds ! S’en aller loin, bien loin, avec Rimbaud. « Vous êtes de faux nègres, vous maniaques, féroces, avares. Marchand, tu es nègre ; magistrat, tu es nègre ; général, tu es nègre ; empereur, vieille démangeaison, tu es nègre »

             Marcher avec Théodore, avec Arthur, jusqu’aux grands déserts d’Éthiopie et le plateau du Harrar. Marcher, tirer sur tous les tendons de l’esprit, tendre l’arc et les limites de l’arcade sourcilière et, pour oser vraiment le monde d’après, adresser, comme Senghor une prière aux masques…

Masques noirs masques rouges, vous masques blanc-et-noir
Masques aux quatre points d’où souffle l’Esprit
Je vous salue dans le silence!

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