Dosette de lecture n°101 : Sylvie Germain : « À la table des hommes ». Quelle part du festin de la terre les hommes abandonnent-ils aux animaux, aux arbres et aux créatures des étangs ?
Dans quel état un être peut-il sortir des décombres de la guerre et de la haine entre les hommes ? C’est un récit intemporel, un conte cruel qu’écrit Sylvie Germain en 2019 lorsqu’elle imagine le destin d’un enfant sauvage né de l’étreinte improbable entre une truie et un soldat agonisant. La scène originelle a lieu dans un monde en guerre où les hommes ont perdu tout repère et toute humanité : « La guerre les a saisis, corps et âme, extirpant des bas-fonds de leur être une capacité de haine et de cruauté qu’ils ignoraient porter. »
Très attentive aux sensations de son personnage, Sylvie Germain se glisse à hauteur d’herbe, fouaille la terre dévastée, lève les yeux vers le ciel, respire les essences des forêts, les odeurs des étangs et les parfums des fleurs. Comme son héros accompagné fidèlement d’une corneille, elle enseigne au lecteur à se méfier du « guêpier des hommes » et à trouver, dans l’émerveillement et l’évasion, des voies alternatives.
Et parmi ces voies alternatives, il y a pour l’enfant sauvage, ce pourceau, ce blaireau, cette « fouine » comme le surnomment les autres enfants, la découverte du langage : alors que le village où il a été recueilli sort enfin du confinement et retourne à la civilisation, alors que les routes sont à nouveau ouvertes et que les journalistes débarquent avec leurs radios et toutes leurs connexions, « lui qui piétine dans un maigre cailloutis de mots », il entend autour de lui parler toutes les langues et ça l’intrigue et ça le fascine.
Commence alors sa longue aventure « à la table branlante des hommes » à laquelle il faut éviter de s’attabler trop longtemps…
« La table branlante des hommes.
Vois combien la nuit consume la voie lactée des âmes.
Monte dans ton chariot de feu et quitte le pays ! »
Le récit de Sylvie Germain s’achève sur cette pensée de Tomas Tranströmer et les vers de ce poète suédois en disent long sur l’ensemble du récit car ils sonnent comme un avertissement au lecteur…