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Dosette de lecture n°121 : René Frégni, Minuit dans la ville des songes Les songes d’un minuit d’été

Publié le par Eric Bertrand

N’avez-vous pas, à force de fréquenter un écrivain, l’impression qu’il est devenu l’un de vos compagnons et qu’il est prêt à venir s’asseoir en face de vous, rien que pour le plaisir de bavarder ? A la fin de ce beau récit « Minuit dans la vie des songes », René Frégni écrit justement que, dans ses écrits, lui aussi « il essaie de retrouver, avant de s’endormir, toutes ces femmes et ces hommes qu’il a croisés, ces fantômes agités ou silencieux qui ont glissé devant ses yeux comme des barques dans la nuit. »

Au pied des remparts de St Malo, justement à bord d’une « barque » du Salon « Etonnants voyageurs », il y a environ vingt ans, j’ai rencontré René pour la première fois. Nous avions rendez-vous au « Palais du Grand Large » ; j’y avais amené une petite bande de lycéens rigolards à qui j’avais demandé, pour l’occasion, de se grimer en personnages de polars, en trimardeurs de romans noirs : femmes fatales, truands, mafieux, prisonniers en cavale, prostituées à grandes bottes, diseuses de bonne aventure, chapeaux feutres, faux vison, futal en faux cuir, casquette en faux tweed… Nous avions un léger retard sur « l’horaire prévu pour l’embarquement » et je vous laisse imaginer l’effet sur notre écrivain venu de Marseille au moment où « la meute mal famée » est entrée dans la salle…

A la récré, « gare ta gueule », René a voulu en savoir plus. Dans la cité corsaire, nous avons pris un café et nous avons parlé de la vie, de ses joies et de ses épreuves et de tout ce qui, au fond, nourrit les thèmes de ses livres : les femmes, les hommes, les mauvais et les bons, les pays du monde, les livres, sa mère, sa fille Marilou qui avait alors sept ans. C’est à Marilou qu’est dédié ce dernier ouvrage sorti en 2022 et c’est pour moi une formidable occasion de reprendre avec lui la conversation tout au long de ces « chemins noirs » que j’avais à l’époque découverts à travers l’œuvre du même nom.

Verdun, Marseille, Corse, Manosque, Italie, Grèce, Turquie… René est toujours un vagabond, mais un vagabond des mots et des livres, silhouette captive, penchée jour et nuit depuis « ses prisons » sur une œuvre de littérature : les titres affluent, « Colline », « le Hussard sur le toit », « Cent ans de solitude », « l’Etranger », « Voyage au bout de la nuit », « Crimes et châtiment », « Le Comte de Monte Cristo », « Adieu à la poussière »

Nous avions, lui et moi, nos routes et nos lignes, nos vaisseaux et nos ancres. Peut-être avais-je eu, sans le savoir, l’occasion de le côtoyer avant, sur un banc, dans quelque fossé ou quelque bar en Corse, en Italie ou en Grèce ou peut-être à Marseille ? Comme lui, j’avais croisé, moi aussi sur les routes, quelques-uns de ces êtres sortis tout droit de Beckett ou de Céline, et si proches des malheureux patients de l’hôpital psychiatrique dans lequel, après des années de fuite, il avait pu enfin retrouver sa liberté, son identité et sa capacité à raconter.

Car ce qui m’a, depuis le début, séduit chez lui, c’est cette insatiable volonté de partager ses aventures littéraires et humaines et cette capacité de montrer à tous les lecteurs, quels qu’ils soient, loups solitaires, prisonniers ou patients hagards, qu’on peut toujours, face à un livre, desserrer la ceinture des mots et sentir dans le fond de son ventre le trouble de la vie, le vent qui descend des collines, chargé de « l’odeur des pierres calcinées, celle du thym, très forte », le frisson d’une robe légère dénouée sous le ciel bleu, le parfum d’une peau de femme…

Au bout de sept ans de cavale, quand René le fugitif est rentré à Manosque, loin des épouvantes de la caserne et du cachot de Verdun, des nuits où son étoile « était à la Grande-Ourse », il a retrouvé ses repères essentiels : la chaleur, les couleurs, les odeurs des tuiles, les rumeurs des saisons et la figure douce de sa mère, miraculeusement ressuscitée depuis « Elle danse dans le noir », cette mère qui lui lisait « les Misérables » et qui s’émouvait devant ce « fils Jean Valjean ».

Et puis le temps a passé.

Son stylo caresse encore le petit cahier rouge qu’il avait un jour ouvert sur la table de bureau de l’hôpital psychiatrique où il avait commencé à travailler. L’infirmier Frégni était en train de devenir écrivain, et il y racontait notamment les épisodes hallucinants vécus pendant les nuits de garde. Ses collègues infirmières ont été les premières à croire en ce « maraudeur des collines » et elles ont applaudi, longtemps avant les éditeurs parisiens, un romancier marginal qui traçait son chemin noir et qui avait, dans sa cartouche, des réserves d’encre et de songe.

Dosette de lecture n°121 : René Frégni, Minuit dans la ville des songes Les songes d’un minuit d’été
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