Dosette de lecture n°150 : Éric Fottorino : « Dictionnaire amoureux du vélo », la chaine et les roseaux.
Quelle place le vélo tient-il dans le cœur et dans les fibres de ceux qui pédalent et qui suivent avec passion le Tour de France et les autres grandes courses ? Dans ce dictionnaire, il est question de « vélo » et non de « bicyclette » et tout ce que l’auteur aborde, à la fois avec humour et précision, fait écho dans la mémoire, à la façon du timbre léger que j’aime entendre sur les voies cyclables et sur les sentiers. Nous sommes lui et moi, nés la même année, et j’ai eu, comme lui, ma grande « période vélo » ; mon grand-père italien, féru de Tour de France et de Giro, ne rigolait jamais quand il enfourchait « la bicicletta » ; dès les premières lignes droites, il mettait du braquet pour distancer les membres de son club sur le plat car il savait qu’il était trop lourd dans les côtes et qu’on le rattrapait facilement.
L’auteur connaît bien « la petite reine » et cette époque où on mettait de l’antésite dans les bidons et où les souvenirs de Coppi, Bartali, Bobet ou Anquetil planaient encore sur les routes et sur les pelotons, en même temps que ceux de d’Hinault, de Thévenet, de Merckx « le cannibale », de l’émouvant Luis Ocana, champion racé, « mécanique nerveuse », et bien sûr, de Poulidor dont « la poupoularité » tient aussi à une longue histoire d’infortune.
Il y a, pour tout cycliste, des mots qui vibrent, des noms qui crissent à la façon d’un boyau sur un sol de gravillons. Toute la mécanique des souvenirs et la chaine des réminiscences se remet à tourner au fil des articles de ce dictionnaire : « Aubisque », « Braquet », « Caravane du Tour », « Fringale », « Gamelles », « Maillot jaune », « Petits coureurs en métal » (rappelez-vous le personnage de Bretodeau dans le film « Amélie Poulain »), « Tourmalet », « Vas-y Poupou »… Et, au-dessus de ces échappés du peloton de mémoire, les belles figures des commentateurs au verbe haut, Antoine Blondin, Jean-Paul Brouchon ou des champions mythiques : Bahamontes, « l’aigle de Tolède », Charlie Gaul, Gimondi, Darrigade, Fignon, Van Impe, Armstrong, Pantani et ses oreilles « d’elefantino », Polentier, Indurain et sa « Spada » … Légendes cousues parfois de fil blanc, détricotant le fil jaune, vert, blanc ou à pois rouges de leur maillot. Tout à la fois chênes inébranlables et fragiles roseaux.
Qui se souvient de Dietrich Thurau, « Didi » ? De Pantani, dit « le Pirate », de René Vietto, le magnanime, de Gino « le Pieux » ou de ceux qui, à cause de la malchance ou du fait de leur pugnacité, ont fait des « soleils mémorables » comme Jean Robic, alias « Biquet », aussi surnommé « Tête de cuir », Roger Rivière, Win Van Est, Fabio Casartelli ? De ceux qui ont voulu « saler la soupe » ? De ceux qui « ont marché à la dynamite » et qui ont été victimes de tragiques « gamelles » comme le champion Tom Simpson ? Et puis il y a eu « le Blaireau » que l’auteur a admiré autant que moi je l’ai admiré, depuis sa première victoire héroïque dans le Dauphiné Libéré en 1977 … On n’en finirait pas de « taper le tapuscrit » des routes empruntées par les champions, et il faudrait encore ajouter à ce dictionnaire tout un livre d’images et même de nouvelles fables de La Fontaine pour laisser chanter la chaine et les roseaux.