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Le Silence de Molière

Publié le par Bertrand

Deuxième pièce proposée aux élèves à la Passerelle de Saint Brieuc… Mise en scène par Arthur Nauzyciel, à partir du « Malade imaginaire » et d’un texte de Giovanni Macchia qui envisage notamment une confrontation entre Molière, auteur fatigué et hanté par le vieillissement et sa fille. Pièce funèbre, austère, longue, étirée dans les deux heures trente sans entracte.
              «Le Silence de Molière »… Quelque part à proximité des toilettes. Avant de monter dans le car, un élève a « fêté » le permis d’une copine. Il s’est fait remarquer en criant dans les couloirs, puis en dodelinant de la tête. Confronté à de vieux démons, je l’interroge un peu brutalement. Il articule une vague défense. Nous sommes trois à l’encadrer quand le spectacle débute précédé par un discours d’intermittents du spectacle. Puis le scénario du « Malade imaginaire »… Un être qui geint, qui tousse, qui crache, et le scénario mis en abyme avec mon élève dans les toilettes où un monsieur éclaboussé essuie le pan de sa veste en maugréant, « c’est une honte, amener des gens ivres au théâtre ! ».
              Deux tentatives pour revenir dans la salle, mais c’est en vain. Il titube. Piteux, il tient son sac en plastique comme on tiendrait un poisson rouge... Le scénario recommence. La pièce se jouera dans une salle aux murs rouges, de part et d’autre d’une grande table. C’est un prof et son élève, un élève mortifié, qui se retrouvent là, réunis par les circonstances et prêts à parler pendant deux heures. Ils n’ont jamais eu l’occasion de causer. Maintenant, ils ont du temps, ils sont face à face, avec le poids de la réalité et le cynisme du désordre organique. L’élève commence à confier à son prof qu’il lui en a voulu de lui avoir mis une sale note au contrôle, mais que ce n’est pas ça le mauvais prétexte pour s’être comporté comme il l’a fait… La conversation devient franche, aisée, presque pathétique.
              Depuis que je me suis installé là, avec lui, refusant la proposition des jeunes employés du théâtre de le « garder », je sens qu’il va se passer quelque chose sur cette scène là. Peut être de plus essentiel que sur la scène au-dessus…
              Je prends plaisir à l’écouter. Il parle sans masque. Je pense à la chanson de Ferré : « Les gens, il ne faudrait les connaître que disponibles, à certaines heures pâles de la nuit… ». Nous avons des choses à nous dire. Et puis cette attitude qu’il regrette profondément, qu’il voudrait effacer. Revenir en arrière, s’installer avec les autres, assister au spectacle. Mais l’acte est là, derrière lui, en face de lui, autour de lui. Il grelotte dans son tee-shirt souillé. Les gens de la Passerelle lui donnent un tee-shirt qui porte un bel écusson. Il faut qu’il assume le geste qu’il refuse. Il faut qu’il porte une responsabilité dont il a honte. Je compatis. Il est authentique dans ses propos. Mais son attitude est la cible des sarcasmes. Tout le théâtre sait. Des gens offusqués se sont renseignés. Il s’agit du lycée de Loudéac. Les officiels l’ont repéré. Ils le considèrent avec des mines réprobatrices. Il faudra en porter les conséquences. Je ne peux faire le secret sur ce qui vient de se passer. Mon rôle est inévitablement d’en faire état auprès de l’administration du lycée même si, comme nous l’avons établi l’un et l’autre avant que deux élèves qui s’ennuyaient ne nous ait rejoints, l’essentiel doit se jouer quelque part, sur la scène de la conscience.

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