Cette
panse de brebis farcie est suspendue chez le boucher telle un trophée ou un ballon de rugby qui se serait figé dans son élan. C’est d’une couleur peu engageante, une sorte
de marron délavé, avec des points de blancheur. Rien à voir avec un beau saucisson ou un esthétique pâté en croûte, crânant dans la vitrine. Le
haggis est un paria. Un malheureux
ballon ovale qui a été botté en touche, et qui pend lamentablement dans un coin de comptoir, sur fond blanc. Et le boucher qui a shooté, coiffé de son petit chapeau (en Grande Bretagne, le
boucher porte chapeau) l’ignore royalement. Il faut avoir « marqué l’essai » pour avoir envie de s’engager sur ce terrain.
Et pourtant, le haggis est reconnu comme le plat traditionnel à ce point que, chaque année, il
a sa place dans un rituel : « la Burns supper ». C’est en janvier. Tout commence comme un ceilidh, kilts, musique, danse, boissons puis soudain, un joueur de
cornemuse s’avance dans la salle. Il accompagne un complice qui porte comme un saint graal un plat dans lequel trône un haggis. L’air de « Bonny Dundee », de
« Scots whae », ou de « Loch Lomond » se suspend…
Le plat est posé sur une table, au centre de la salle. Celui qui portait le plat sort le couteau de sa chaussette,
le « skean dhu » et il prononce, d’une voix vibrante, la prière au haggis, après l’avoir éventré. La viande sort de la gaine. Elle se débine et le texte de
Robert Burns, le poète national écossais, s’impose aux oreilles de tous : « adress to a haggis », en voici les premiers vers :
“ Fair fa your honest, sonsie face,
Great chieftain o' the pudding-race!
Aboon them a' yet tak your place,
Painch, tripe, or thairm”
L’accent est fort, les “R” sont roulés, les diphtongues soigneusement rendues. La
fronde écossaise retrouve toute sa vigueur tandis que les convives reprennent en chœur les vers de Robert Burns avant d’éventrer d’autres panses et d’aller danser des jigs
endiablées… Ne dit-on pas, depuis Rabelais, « car de la panse vient la danse » ?
Adress to a haggis