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Proust : le bal des têtes (17)

Publié le par Eric Bertrand

                 Dans la suite immédiate de la réflexion sur « la blonde valseuse », continuons la pirouette...

 

                 « On avait peine à réunir les deux aspects, à penser les deux personnes sous une même dénomination ; car de même qu'on a peine à penser qu'un mort fut vivant, ou que celui qui était vivant est mort aujourd'hui, il est presque aussi difficile, et du même genre de difficulté (car l'anéantissement de la jeunesse, la destruction d'une personne pleine de forces et de légèreté est déjà un premier néant), de concevoir que celle qui fut jeune est vieille, quand l'aspect de cette vieille, juxtaposé à celui de la jeune, semble tellement l'exclure que tour à tour c'est la vieille, puis la jeune, puis la vieille encore qui vous paraissent un rêve, et qu'on ne croirait pas que ceci peut avoir jamais été cela, que la matière de cela est elle-même, sans se réfugier ailleurs, grâce aux savantes manipulations du temps, devenue ceci, que c'est la même matière n'ayant pas quitté le même corps - si l'on n'avait l'indice du nom pareil et le témoignage affirmatif des amis ; auquel donne seule une apparence de vraisemblance la rose, étroite jadis entre l'or des épis, étalée maintenant sous la neige. Comme pour la neige d'ailleurs, le degré de blancheur des cheveux semblait en général comme un signe de la profondeur du temps vécu, comme ces sommets montagneux qui, même apparaissant aux yeux sur la même ligne que d'autres, révèlent pourtant le niveau de leur altitude au degré de leur neigeuse blancheur.

                     Et ce n'était pourtant pas exact de tous, surtout pour les femmes. Ainsi les mèches de la princesse de Guermantes, qui quand elles étaient grises et brillantes comme de la soie semblaient d'argent autour, de son front bombé, ayant pris à force de devenir blanches une matité de laine et d'étoupe, semblaient au contraire à cause de cela être grises comme une neige salie qui a perdu son éclat. Et souvent ces blondes danseuses ne s'étaient pas seulement annexé, avec une perruque de cheveux blancs, l'amitié de duchesses qu'elles ne connaissaient pas autrefois. Mais, n'ayant fait jadis que danser, l'art les avait touchées comme la grâce."


 

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J
Il s'agit certainement du phénomène que j'aborde en communication et lié à la vision, qui est le changement de point de vue ! L'une des photo projetées, à présent connue, est l'image de la jeune femme et de la vielle femme, ensemble réunies dans un seul et même dessin. Certains voient la jeune femme, d'autres la vielle femme, mais rares sont ceux, découvrant cette image, qui parviennent d'eux-mêmes à voir les deux ensembles ! Cela est dû au fait que losque l'on appréhende un évènement, on adopte un point de vue et il devient alors difficile de revenir sur celui-ci et d'en changer ! Pour ma part, j'ai toujours des difficultés, spontanément, à voir les deux... c'est la jeune qui s'impose naturellement à mon regard, comme lors de la première vision !Peut-être que le fait de voir une personne devenue âgée, et que l'on a connu jeune, relève du même mécanisme ? Sacré Proust !
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