« Quand le ciel bas et lourd » ou le syndrome cocotte-minute (2/2)
Le récit de la déroute
- L’agression conduit à l’inévitable recul de la victime. Affaibli par la montée du malaise, l’esprit du poète recule progressivement : l’espace de mobilité se rétrécit progressivement comme en témoigne l’évolution du lexique de l’espace vital au fil du poème : « cercle », puis « cachot », puis « murs », puis « plafonds », puis « prison », puis « au fond de nos cerveaux ».
- Cette progression de l’Angoisse s’appuie sur des alliés malfaisants dont les figures connotent les créatures maléfiques très en vogue à l’époque de Baudelaire, attirée par le fantastique : « chauve-souris », « araignées »... Ces créatures sont complices de « l’Ennemi ». Elles sont générées par le milieu délétère qui les environne, et en même temps, elles contribuent à la dégradation psychologique du poète : « se cognant la tête à des plafonds pourris » (plafonds pourris, métaphore du cerveau), « vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux ». Le rythme du Q2 imite le vol aveugle de la chauve-souris et reproduit bien l’impression de tâtonnement.
- La prolifération des signes du malaise signalé par l’entrée en scène de ce bestiaire fantastique aboutit à la folie cauchemardesque que relate la fin du poème. Après une patiente et méticuleuse (sadique) préparation, le piège se referme. C’est le moment du paroxysme marqué par le « tout à coup » et la succession des présents contrastant avec l’effet d’étirement des participes présents (effet des assonances nasales du Q1). Les verbes indiquent la violence : « sautent », « lancent », « plante » (violence marquée également par les allitérations en « k » et « t » au vers 13 : « Des cloches tout à coup sautent avec furie ». Le quatrième quatrain marque l’ultime péripétie et implique directement le « je » du poète qui se masquait derrière le « nous » : « mon âme », « mon crâne ». L’impression de douleur s’impose à travers la stridence du « i » dont l’assonance domine au quatrain 4 : « furie », « esprit », « patrie », accentuée par l’effet que produit la diérèse : « opiniâtrement ». Cette douleur était présente comme un premier symptôme dans le vers 2 : « l’esprit gémissant en proie aux longs ennuis »
- Cette crise du spleen est présentée comme un moment tragique qui culmine à l’instant de la mise à mort de l’Espoir. La bataille s’achève sur la visualisation des deux adversaires à travers la double allégorie : l’Espoir / L’Angoisse. Au vers 18, en position de contre-rejet, les forces défensives ne pèsent plus grand-chose face à la suprématie de l’Angoisse avec sa « garde du corps » d’adjectifs : « atroce », « despotique » et son drapeau noir qui renvoie à l’idée violente de piratage. Les marques de mort envahissent le dernier quatrain : « longs corbillards » qui « défilent lentement », soulignant à la fois le cynisme de la victoire et la lenteur de l’agonie (rôle du tiret au début du quatrain 5)
Conclusion : un poème qui réalise le paradoxe d’un poème qui relate une défaite et qui puise son ultime énergie dans le pouvoir des mots (le jeu) afin de s’écarter de la traditionnelle plainte lyrique des romantiques (voir « le lac » de Lamartine). Victoire absolue du SPLEEN qui peut se lire en filigranes et en anagramme aux vers 2-6-8-19-20. N’y a-t-il pas même, dans l’intention de ce poème, une volonté d’autodérision d’un poète qui cherche à se libérer des clichés ?