L’Amérique de Trump et l’Amérique des chansons de Julien Clerc
Mardi 10 novembre 2016. « Hey, Niagara, une montagne qui pleure, oui c’est bien ça… tu vas faire monter la Seine, arrête-toi… Tes sanglots sont si longs que je m’y noie… Tu inondes mon destin de ton chagrin… Après-demain, j’aimerais que les gazettes ne me parlent pas de toi »…
Il y a toujours eu tant de rêve américain dans les chansons de Julien Clerc que ce matin tu les écoutes d’une oreille un peu fanée… Rappelle-toi ! « La Californie se dore près de la mer et ne connaît pas l’été de la mer, la Californie est une frontière entre mer et terre le désert et la vie ». Troupe de « Hair » à Broadway… « Je vois ma vie se projeter dans l’espace… Au bout de l’Atlantique, je suis un génie, génie ». Tu te projetais ! Tu avais les cheveux longs et bouclés, tu avais le torse nu et portais la guitare et le sac sur le dos. Tu faisais de l’auto-stop comme dans les films. Tu réclamais le pouvoir des fleurs, tu lisais « les Raisins de la colère » et tu imaginais l’Amérique des chercheurs d’or, « les Vagabonds du rail » et « l’Appel sauvage » de Jack London. Tu étais un loup de liberté, de désir et d’envie. Tu avais le croc blanc de convoitise et tu rêvais de Californie. « La Californie est une frontière entre mer et terre, le désert et la vie »
Mais tu étais encore chez toi, trop jeune pour oser tout quitter. Alors tu regardais ce jeune chanteur aux cheveux bouclés à qui tu t’identifiais de plus en plus. Frisettes et tignasse décoiffée, jeans, ceinturon en cuir, chemise sortie du pantalon, visage ténébreux. Tu écoutais tout ce qu’il chantait, tu retenais les paroles de ses chansons, surtout de celles qui complétaient tes lectures : « Les chercheurs ont laissé leurs pioches et leurs tamis, l’or étant devenu sourd à la leur triste folie… ». Les horizons s’ouvraient, tu étais un peu « beatnick », par procuration, avec ton acné et ton appareil dentaire ! Tu voulais le remplacer par l’harmonica de Bob Dylan collé à la lèvre et « taper la route », avec Joan Baez, Supertramp et Dire Straits. « Telegraph road » et « Breakfast in America ». Et Julien Clerc continuait de t’inspirer : « Des cheveux bien trop longs pour la région, une chemise dont les trous rêvent de me suivre un peu partout… Je suis le caravanier … », « Quand je vois les motos sauvages qui traversent nos villages, venues de Californie… je pense à la cavalerie ».
Souviens-toi « la Californie »… Tout au bout de cette route 66 que chantera Eddy Mitchell. La Californie de Walt Whitman et de Jack Kérouac, celle des hobos et des « clochards célestes ». « I’m a poor lonesome cow-boy ». « À pied, le cœur léger, je prends la grand-route / Bien portant, dégagé, le monde devant moi / Devant moi le long chemin poudreux conduisant où je veux… » Tu te récitais du Walt Whitman, ça te donnait l’impression de passer le grand Atlantique ! « Je vois ma vie se projeter dans l’espace … Let the sun shine in ». Peaux-Rouges, Blacks, Latinos, Sitting Bull, Martin Luther King et Angela Davis.
Tu fermes les yeux, « les palétuviers dorment sous le vent, la cannelle fauve embaume ton temps ». Toujours l’harmonica de Dylan, la guitare de Mark Knopfler ou de Scott Mackenzie : « If you’re going to San Francisco, be sure to wear some flowers in your head », psychédélisme des Doors « Riders on the storm. Driving with Jim », « Light my fire ». Et dans les salles obscures, tu regardes encore « Paris-Texas », « Little Big Man » et « Danse avec les loups ». « Pétrifiés dans nos manteaux d’hiver, refoulés aux frontières du mensonge… »
« Let the sun shine… Je suis un génie, génie » ! Génie dansant juste au-dessous du soleil, tout à l’ouest ? Génie à cheval sur les lames du Pacifique ? Génie qui garde sur les lèvres des fragments de la pomme d’or ? Big apple, where are you today ? « Tués par des rêves chimériques, écrasés de certitude, dans un monde glacé de solitude… Chantons nos rêves d’espoir sur un sitar, sitar… ». « Près des orangers, c’est là que t’attend au fond de tes rêves, ton prince charmant » ?
Dans cette Amérique secouée, quel visage a-t-il donc pris le prince charmant ? Privée du rêve américain, Amérique, t’es-tu donc inexorablement rapprochée de toutes les fractures qui ont déjà tant déchiré nos latitudes ? « La Californie est si près d’ici qu’en fermant les yeux, tu pourrais la voir »…
Amérique; Trump; Julien Clerc