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"En cloque" ou révolution dans le couple !

Publié le par Eric Bertrand

C’était si simple au début. Une légèreté, une fantaisie… « Elle faisait tout bas, lalala… Et c’est comme ça, tout simplement, que nous avons fait cet enfant »... Tu te souviens de cette fois-là et de ces chansons de Julien Clerc et de Nougaro. « Elle voulait un enfant, toi tu n’en voulais pas, mais il lui fut pourtant facile, avec ses arguments d’obtenir un papa… ».  Elle n’avait d’yeux que pour toi, tu croyais que tu étais son dieu, tu trônais sur sa beauté et sur ses grâces avec « ton œil profond d’hidalgo tango, tes joues creusées guérillero… » Et puis « du ventre plat au ventre rond, t’as eu l’espace d’un frisson ». Cette fois, plus de doute, l’évidence absolue, c’était bien là, tu avais franchi le pas, tu l’avais mise « en cloque ».

             Cette chanson de Renaud, tu pourrais toi aussi la chanter, comme les autres, Julien Clerc, Souchon, Lama, tous les papas, les futurs, les anciens, ceux qui sont tout près de le devenir. Elle raconte l’émotion et l’affolement du géniteur, elle annonce le règne du « p’tit bonhomme qu’arrive en décembre » et elle examine de près la petite révolution « autour du paddock »... On dirait tout à coup que celle qui, trois mois plus tôt, ne choisissait ses toilettes que pour te plaire ou rendre jaloux tes invités, désormais ne s’habille que par le ventre. Elle laisse faire les petits bras de quelqu’un d’autre, sourit aux anges, se met à l’écart et s’emmaillote parce qu’elle est « en cloque ».

             Elle parle une autre langue. Elle prend une autre voix. Elle dit que tu la maltraites, que tu ne peux pas imaginer ce qui est en train de se passer en elle et autour d’elle, que tu es un homme, et que tu ne seras jamais en cloque ! Quand « le petit ange » s’est endormi en elle, quand elle échappe à sa douce surveillance, elle a des « idées loufoques ». Elle ne veut surtout pas que tu l’aides, elle se débrouille toute seule. Quitte le fauteuil, s’approche du mur de la chambre, caresse le lit, arrange les punaises et « la photo d’Arthur Rimbaud ». Elle lève les yeux, lisse le poster glacé, murmure des mots : « avec ses cheveux en brosse elle trouve qu’il est beau dans la chambre du gosse ». Toi, tu ne connaissais pas Arthur Rimbaud. Tu as l’impression que lui aussi, elle l’a sorti de son ventre.

             Elle dit que tu ne fais pas grand-chose pour le petit, mais que tu es gentil. Tes regards hidalgos qui la faisaient craquer, tes mots doux pour la consoler, « c’est comme si tu pissais dans un violoncelle ». Elle dort tout le temps. Elle se réveille comme en plein jour, elle a des envies « balaises », « va bouffer des fraises » et des cornichons la nuit. Dès que l’œil est ouvert, elle pose ses mains de voyante sur son ventre tendu. Elle prend des airs de druidesse, « c’est oracle, ce que je dis ! » Elle avertit : « c’est Rimbaud qui a écrit cela ! » Et toi pour la contenter, tu cours dans tous les sens, tu fais du feu dans la cheminée à deux heures du matin, tu cuis des œufs au plat, réchauffes des tasses de verveine. Tu lui donnes ta portion de crème au chocolat, tu fais sortir le chat qui ronronne pénard sur tes genoux. « Tu te défonces en huit pour qu’elle manque de rien, ta petite ! »

             Et puis lorsqu’elle est apaisée, tu te rapproches du petit rossignol qui chante, du petit bec qui frappe dans le bois du ventre rond. Tu essayes de lui parler. Tu approches ta bouche et ton oreille pour l’entendre respirer. Tu n’as plus la même bouche, ni les mêmes oreilles qu’avant. Elle non plus. Elle te parle à voix basse. Tu oses des petits compliments, mais tu ne sais plus à qui tu dois les dire. Elle protège le temple avec ses doigts, elle referme la cage où sommeille le veilleur. Elle écoute une voix qui lui vient de quelque part dans la tête ou dans le ventre, elle visionne derrière ses grands cils des tonnes de pellicule qu’elle fait tourner en boucle sur la Super 8 de ses « grands projets pour Bébé ». Tu ne peux pas comprendre ! « Tu t’retrouves tout seul dans ton froc depuis qu’elle est en cloque »

             De la salle obscure, elle émerge parfois. Elle te pose des questions auxquelles tu ne sais pas répondre. Elle décrète que c’est comme si vous étiez trois dans le cinéma. Mais toi, tu n’as rien compris au film. Toi, tu ne vois qu’elle. Que cet œil absent, qui roule entre deux mondes. Elle te caresse les cheveux, elle croit qu’elle te console : « patience, bientôt tu verras », et puis « elle fait tout bas, lalala ».

Couple, Julien Clerc, Renaud

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