Serge Gainsbourg et Musset : de la petite fontaine à la nuit d’octobre
Serge Gainsbourg et Alfred de Musset partagent de nombreux points communs. La soif de l’absolu, la fantaisie et la déprime, le goût des femmes, de la dérision, de l’autodestruction, du tabac, de l’alcool. Le dandysme aussi… Le dandysme à la Oscar Wilde, élégance qui les menait à cultiver à la fois la provocation et le paradoxe, à jouer des miroirs, tantôt Gainsbourg, tantôt Gainsbarre, tantôt Coelio, tantôt Octave, tantôt Lorenzo et tantôt Lorenzaccio.
C’est aussi la terrible appréhension d’une blessure à venir qui travaille tous les textes de Musset et tous les textes de Gainsbourg. La petite fontaine qui coule dans le parc du château du baron dans la belle pièce de Musset « On ne badine pas avec l’amour » a une valeur profondément métaphorique : son écoulement doux et timide, dans un coin de prairie cher au cœur du héros semble annoncer « la source des pleurs »… Perdican, qui a grandi dans cette terre sacrée de son enfance y revient dix ans plus tard retrouver Camille qu’il espère épouser. Le grand jeune homme cultivé et mature qu’il est devenu est alors saisi d’un étrange frémissement. « Le vert paradis des amours enfantines » comme le désigne Baudelaire, autre mentor de Gainsbourg, ouvre en lui la blessure.
Ces larmes que Perdican trouve dans la fontaine alimentent les pleurs des personnages des pièces de Musset mais aussi les larmes qui coulent dans ses poèmes. De la même façon, de nombreuses chansons de Gainsbourg, chantées par Jane sur un fond de musique sublime s’élèvent dans l’air léger comme une poudre d’eau : « Quoi ? », « Fuir le bonheur de peur qu’il ne se sauve », « Lost song », « Baby alone in Babylone », « Con c’est con ces conséquences »….
Il faut pour expliciter tout cela réécouter l’un des poèmes de Musset, « la nuit d’octobre », que Gainsbourg a mis en musique à l’époque où il n’avait pas encore rencontré Jane.