Polar écossais en gestation...
J'ai abordé depuis un mois la rédaction d'un nouveau roman dont les pistes sont multiples et qui aura pour cadre l'Ecosse. En voici en exclu un extrait qui s'appuie sur l'une des séries cultes : "Outlander" que j'ai regardée avec plaisir...
Chapitre 6
C’était un samedi soir à Inverness et Judith avait envie de s’amuser. Sortir et s’amuser en ville. Faire des rencontres. Draguer. La jeune Anglaise avait terminé ses études de médecine à l’’université et, avant de commencer à prospecter pour un emploi dans le Sud, (elle hésitait entre Brighton et Penzance, dans les Cornouailles), elle s’était offert quinze jours de vacances dans les Highlands. Elle avait rejeté une invitation en Grèce, une autre en Sicile. L’Ecosse ! L’Ecosse et les Highlands.
Elle trouvait l’endroit romanesque à souhait. Pas besoin d’aller chercher loin la cause de cette lubie. L’influence de la télé, évidemment ! Pendant qu’elle préparait son examen, elle avait regardé les deux saisons de la série « Outlander » et la beauté des paysages, le charme des personnages, la violence romantique de certaines scènes lui avaient donné envie de prendre un vol pour Inverness, la ville pas loin de laquelle Claire, l’héroïne, remonte dans le temps.
« Outlander » ! C’était la suite magique du rituel auquel elle s’était habituée. Un véritable conditionnement qui l’avait rendue presque associable… Tôt le matin, elle enfilait sa grosse robe de chambre, faisait chauffer sa bouilloire, préparait sa théière et plongeait dans les livres de médecine. Elle relisait ses cours, révisait ses fiches, travaillait toute la journée presque sans manger, buvant simplement de grands mugs de thé. Puis, aux alentours de vingt heures, elle se préparait son plateau repas et s’installait enfin devant un épisode de la série.
Les dernières semaines avant l’examen avaient un peu dérangé ce cycle. Mais sa tête résonnait encore de la chanson du générique, « Sweet bonnie boat like a bird on the wind, over the sea to Skye… ». Maintenant qu’elle allait partir, elle rêvait d’un bel Ecossais en kilt, si possible un Ecossais du clan Fraser, comme Jamie, le héros du feuilleton. Certes, elle ne passerait pas à travers les pierres de Craigh na dun, elle ne s’en sentait pas le courage… Mais, le verre de whisky à la main, elle aurait toutes les audaces.
Dans un pub du centre-ville, le lendemain de son arrivée, elle avait décidé de jouer le grand jeu. Petite jupe courte sur des bas noirs, lèvres joliment dessinées sous le rouge à lèvres, cheveux lâchés, assise sur un haut tabouret, Judith se remarquait immédiatement. D’autant qu’à la différence de la majorité des filles qui fréquentent ces endroits, elle était seule. Comme tous les jeudis soirs pendant l’été, le pub recevait un groupe de musiciens pour un « ceilidh », tradition d’origine celtique qui donne l’occasion aux amateurs de bière et de whisky d’entendre de la musique traditionnelle et de danser. Les cheveux dans les yeux, Judith balançait sa taille souple et se laissait entraîner par le son enchanté de deux fiddles qui semblaient grisés avant même les musiciens. Les instruments ont cette capacité de capter ce que les spécialistes de l’alcool appellent « la part des anges ».
L’homme qui la regardait avec insistance depuis cinq minutes n’était pas musicien mais il ne tarda pas davantage à l’aborder. Cheveux blonds, yeux bleus, grand et solide sous sa veste de tweed, il ne manquait ni d’assurance, ni de ténacité. Il avait un type nordique comme certains des habitants du nord de l’Ecosse qui conservent dans leurs gènes le souvenir des anciens vikings débarqués sur les côtes il y a de cela plus d’un millénaire.
Il ne portait pas le kilt mais, sans doute miraculeusement inspiré, ou simplement perspicace, après avoir bu le premier verre, il annonça à Judith qu’il venait du nord de l’Ecosse et que ses ancêtres appartenaient à l’un des plus vieux clans d’Ecosse. Mac quelque chose… Pas Fraser, certes ! D’ailleurs, il ne ressemblait pas du tout à Jamie, mais il avait de l’allure.
Il lui offrit un autre verre et, puisqu’elle insistait, lui parla de l’Ecosse. De la majesté de ses paysages. De ses châteaux. De ses clans. De Macbeth. De ses traditions. De ses ceilidhs. Il ne trouvait pas ces musiciens tellement bons. On pouvait changer de pub. Trouver du meilleur whisky. Sa voiture était garée tout à côté. Une belle Alfa Roméo. J’offre une place à Juliett dans mon Alfa Roméo ! Judith se moqua gentiment de lui : son séducteur avait de l’humour et connaissait son Shakespeare sur le bout du doigt !
Et, en fait de pub, il l’amena directement dans sa chambre, au fond d’un vieux manoir qu’il habitait dans la Black Isle. Demain ma Juliett, je te montre au grand jour les alentours du manoir et je t’amène passer la journée dans le nord. Il la fixait dans les yeux, le feu dans le regard. Quelque chose continuait de captiver Judith. Les prunelles de ses yeux. Ses yeux presque mauves, un regard de lande et de bruyère au fond duquel brillait comme une épée.
Mais en attendant, montre-moi que j’ai bien fait de te choisir toi, toi, plutôt qu’une autre. Presque étourdie, elle détourna le visage pour observer la pièce autour d’elle. II sentit son hésitation, retint l’envie irrésistible qui le traversa de la jeter immédiatement sous lui, (après tout, elle était déjà à sa merci). Il se ressaisit, joua le coup de la froideur. Il sentait bien qu’elle haletait d’anxiété. Il lui proposa tranquillement un verre après avoir poussé une façon de soupir impuissant. Une sorte de contrepoids à l’émotion de sa partenaire. Il fallait calculer et ne rien brusquer.
D’un pas mesuré, il s’éloigna. Une porte grinça dans la pièce d’à côté. Judith entendit le tintement de la bouteille contre le verre. Le feu du whisky qu’elle avait demandé coulait doucement, imprégnait la transparence des glaçons. Il faudra décidément que je mette de l’huile dans la serrure de ce vieux meuble de famille ! Il prenait son temps, savourait à sa façon ce rite musical de l’attente. Je te sers ton whisky sans mélange, Sassenach ?
« Sassenach » ! Sans même le savoir, il avait prononcé le mot magique, celui que le héros de la série « Outlander » utilise pour désigner Claire, la belle héroïne, l’Anglaise, l’Etrangère. Pas possible, « Sassenach ! » Il avait visé juste le bel Ecossais dont elle savourait l’accent. Enivrée, la Sassenach ! Oui, sans eau ! Allez, sans eau celui-ci ! C’est mon dernier whisky de la soirée et je le veux brut !
Elle se regardait dans la grande armoire à glace de la chambre, la tête dans un rêve. Elle passa ses doigts dans les cheveux. Sassenach ! Elle allait réaliser son pari cette nuit même, avec cet Ecossais blond dont elle ne connaissait même pas encore le prénom : elle aurait l’audace de Claire…
Elle retira son chemisier et admira la rondeur palpitante de sa poitrine. D’un geste machinal, elle commença à descendre la fermeture éclair de sa jupe. Une main chaude se posa sur la sienne tandis qu’une autre commençait à lui caresser le sein droit. Son cœur qui battait à tout rompre allumait un volcan sous son sein gauche. Et soudain, comme surgies du corps ardent et musclé qui l’étreignait, deux lèvres tièdes et fébriles s’avancèrent pour avaler le feu.
Elle ne vit plus que très vaguement le plateau sur lequel attendaient les deux verres de whisky remplis de glaçons qui commençaient à fondre.