Jolien Janzing au lycée Vieljeux... Le Journal sous la neige…
Dans une rue d’Amsterdam, passe un couple de mariés. Anne Frank est à la fenêtre. Elle a l’air heureux d’une fillette insouciante. Elle agite la main. Sur une autre photo en noir et blanc, Audrey Hepburn a le même âge. On la voit déguisée, noyée dans une jolie robe Charleston. Elle joue à la grande dame. Elle a déjà des airs de danseuse et de petite star. Et à la fin de l’échange, sur le diaporama, la dernière image qui reste affichée sur l’écran est celle d’Anne, réunie par le montage en tête à tête avec Audrey. Toutes deux ont le même âge et malgré les traits fatigués et la mauvaise santé de l’une, elles se ressemblent.
Ces deux personnages, qui ne se sont jamais rencontrés, sont ceux que suit avec beaucoup d’émotion et de tendresse l’écrivaine Jolien JANZING venue parler de son roman « Audrey et Anne » au lycée Vieljeux, devant deux classes de seconde. Nervosité, impatience, doutes, les 70 lycéens entrent dans la salle polyvalente. L’autrice est au pupitre, le vidéo projecteur est branché. Le café refroidit au fond des tasses. Tout est paré.
Comment un romancier trouve-t-il son inspiration ? La question intrigue toujours les élèves quotidiennement confrontés au vertige de la page blanche. Au début, confie Jolien, elle avait l’idée d’écrire un roman sur Anne Frank… mais ses recherches l’ont menée à la figure d’Otto, le père, seul survivant du camp de concentration. L’homme est remarié, le journal qu’a écrit sa fille continue de le hanter. Un jour d’hiver 1957, il a rendez-vous dans un village suisse avec la délicate Audrey Hepburn pour lui demander si elle accepterait d’incarner le rôle de sa fille dans un long-métrage. Et c’est là que tout commence…
L’explication ne satisfait pas. Ou bien c’est simplement qu’un élève de l’autre classe veut poser sa question. « Bonjour. Pourquoi avez-vous eu recours à la technique du flash-back ? » Jolien sourit. La réponse d’Audrey ne vient pas tout de suite voyez-vous, l’oblige à un long détour par lequel va lentement émerger le passé. Un passé lourd qui permet au lecteur de croiser la figure trouble de la mère d’Audrey, la baronne Ella de Heemstra, qui, très vite conquise par la « santé » et la vigueur du troisième Reich va, par légèreté et goût de la mondanité, fréquenter des officiers nazis …
Le roman ouvre cette page sombre de l’histoire et examine la période trouble située entre 1929 et 1945 : la famille d’Anne et celle d’Audrey ne la vivent pas de la même façon. « Laquelle des deux préférez-vous ? » demande un élève qui a manifestement bien lu le roman et qui s’étonne de la part que tient Ella dans la narration. En tant qu’être humain, bien sûr que je préfère la famille Frank… Mais en tant que romancière, c’est différent… je pense avant tout à tirer les fils de mon canevas et à m’intéresser aux « fils noirs », peut-être davantage qu’aux « fils blancs ». Parce que les fils noirs sont plus difficiles à débrouiller. C’est pour cela qu’ils fascinent le lecteur et sont source d’inspiration.
Cet appel de l’écriture, elle l’a ressentie très jeune, lorsqu’à sept ans, peut-être après s’être mise, elle aussi, à la fenêtre, peut-être après avoir enfilé, elle aussi, une robe Charleston, elle s’est amusée à pianoter sur la machine à écrire de sa mère. Et puis la partition a continué : les notes, les mots, la lecture des livres, le journal d’Anne Frank, « le petit monde » qu’elle se fabrique, les beaux personnages féminins dont elle veut raconter l’histoire, la complicité avec eux, les recherches dans les bibliothèques, aux archives et sur internet, l’envie de laisser la part belle aux femmes plutôt qu’aux hommes toujours un peu trop présents. (Clin d’œil en direction de son mari, « chez nous, il y a toute une bibliothèque entièrement consacrée à un seul homme : Napoléon, et Paul le connaît par cœur ! Il y a aussi des femmes qui ont fait des choses extraordinaires, n’est-ce pas ?… » Et là-dessus, elle a sa petite idée.)
Car, comme elle le signale à un autre élève, il y a toujours « quelque chose de fantastique dans la vie » et qui dépasse infiniment ce que l’imagination peut inventer. C’est vrai, confie-t-elle avec son regard bleu ébloui, la vie fournit le meilleur tissu quand il faut croiser les fils… C’est par exemple la mère d’Audrey qui reçoit des paquets de cigarettes de la part de l’un de ses ex, un dénommé « Micky », et qui les revend aussitôt pour acheter de la pénicilline afin de guérir Audrey de la typhoïde. Ou bien le dernier train pour Auschwitz dans lequel montent les Frank parce qu’Otto n’a pu cette fois-ci faire en sorte de rayer les siens de la liste des « passagers ». L’ultime départ vers les camps… Ou bien encore le soleil éblouissant au sortir de l’annexe dans laquelle Anne et sa famille ont vécu terrés pendant deux années…
C’est comme ça. La vie fournit de ces coups de soleil au visage de l’écrivain. Le soleil brille sur cette petite route escarpée de la montagne suisse par laquelle Otto va rejoindre Audrey… Au bout de la route enneigée, il y a la perspective d’une rencontre mais aussi, sur la page blanche, le premier flocon de tout roman. Quelque part dans les landes du Yorkshire ou quelque part en Antarctique…