Quelque chose du Goncourt des lycéens…
C’était il y a très longtemps...
Les rues de Rennes sont légères et sans couvre-feu. On s’installe en terrasse à n’importe quelle heure. La rue de La Soif ne désaltère pas tout à fait du désir d’embrasser la vie et de toucher à tout. Le froid de l’hiver commence à descendre, sans givre et sans gel hydro-alcoolique sur les tables. Mais un petit gel discret ridule le cristal des yeux, pince le nez, durcit les lèvres et rougit les joues. Quelques quenottes claquent.
Avec une poignée d’élèves, on déambule dans le centre-ville et on cause littérature. Le grand ménage de novembre a commencé après les cours et les vacances de Toussaint, et les visages ne disparaissent pas encore sous les bavettes, les torchons et les serviettes. Les fins sourires en coin, les vives mimiques et les grimaces, les éclats de voix et les éclats de rire fusent dans la nuit, sous le masque discret des éclairages.
On est venu là pour désigner le prix Goncourt des Lycéens et notre classe a été sélectionnée pour opérer ce choix entre les principaux romans de la rentrée. « Mille six cent ventres » de Luc Lang est notre favori et nous sommes vingt et une bouches pour en parler avec nos tripes…
La soirée de veille se termine dans un bar karaoké et, autour de l’unique micro, on se retrouve plusieurs, serrés dans la lumière du projecteur, à postillonner sur une chanson de Johnny Hallyday. « Quelque chose en nous de Tennessee ». L’Idole n’a pas encore enfourché sa dernière Harley et on se sent tous soudain inexplicablement émus. Les yeux brillent. Le visage se détourne. Un doigt tremble, remonte jusqu’au-dessus des lèvres, efface une larme sur la joue. Sourire timide. Applaudissements dans la salle. Les spectateurs se lèvent de l’autre côté de la scène. Au-dessus du halo, il y a « comme une étoile qui s’éteint dans la nuit », l’effleurement d’une « main tendre et légère qui pousse vers la vie » …
« A certaines heures de la nuit, quand le cœur de la vie s’est endormi, il flotte un sentiment comme une envie »