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Dom Juan déboulonné à la Coursive de La Rochelle.Molière : Dom Juan (Dosette de lecture n°67)

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        Comment un don juan se comporte-t-il avec ce qu’il considère comme « le sexe faible » ?

Quel regard porte-t-il sur les femmes et plus généralement sur notre société, son histoire, ses racines ? Telle est la question que pose Molière au lendemain de l’interdiction de son Tartuffe. Pour assurer des revenus à sa troupe, il mise sur « un potentiel succès au box-office » et écrit Dom Juan en reprenant un fameux personnage issu de l’imaginaire espagnol. Mais son Don Juan à lui est d’un genre particulier. Ce qui le motive dans l’opération de séduction qu’il mène, c’est moins la surenchère amoureuse que la provocation et la mise en cause d’une morale, d’une religion et d’une société dans toute sa diversité.

Par sa mise en scène offerte à la Coursive les 7 et 8 juin derniers à La Rochelle, David Bobée du théâtre du Nord met bien en valeur cet aspect-là du personnage. Dans un décor où de grandes statues empiètent sur l’espace, il déboulonne les idoles, casse les représentations, dérange l’ordre du monde et exhibe tous ces vices qui font de lui un être à l’orgueil démesuré et condamné d’avance au châtiment. Sur le plateau, le sablier du Temps coule par le plafond, le sable s’immisce dans « le festin de Pierre » et les rets se tendent autour du héros qui joue insolemment de son pouvoir de parole, de muscle et de sexe.

Par maints moyens, le metteur en scène souligne cette soif de domination qui rend le libertin odieux aux yeux de ceux qu’il juge comme ses inférieurs, et notamment de Sganarelle, serviteur noir, qui confie sa rage à un autre valet de Dona Elvire. Tous deux, Congolais d’origine, ne méritent pas le dédain de leur maître : ils ont une présence esthétique, une voix et des chants vibrants, formulés en langue vernaculaire.

Mais Dom Juan est là pour tout écraser. Il incarne l’homme blanc, le prédateur, le colonisateur prêt à tout pour « comme Alexandre, étendre son empire », jusqu’à des terres éloignées où les habitants vivent dans une autre dimension et parlent une langue inconnue et poétique. Il ne s’agit pas de ce patois ridicule des paysans de l’acte 2, mais du mandarin dans lequel s’expriment deux acteurs chinois. La chorégraphie et la grâce de leur échange fait un instant oublier la violence du conquérant qui veut tout pour lui, quitte à s’anéantir.

Plus besoin, dès lors de spectres ou de commandeur pour le dénouement. Aux yeux du public, à ses propres yeux aussi, Dom Juan est damné. Et sur scène autour de lui, tout se délite et tout se pétrifie dans un monde qui change et qui conteste son pouvoir illusoire.

 

Dom Juan déboulonné à la Coursive de La Rochelle.Molière : Dom Juan (Dosette de lecture n°67)
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