Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Dosette de lecture n°94 : Marcel Cohen, « Sur la scène intérieure » Du côté de ceux qui jouent pour l’éternité

Publié le par Eric Bertrand

Comment redonner vie à ces « anonymes », à ces chers disparus, victimes du génocide dans les années sombres du nazisme ? L’auteur, Marcel Cohen, était encore tout enfant quand il a échappé par miracle à la rafle qui a emporté plusieurs de ses parents. Mais « Sur la scène intérieure », il garde encore d’eux une trace précieuse, quelque chose d’impalpable que les nazis n’ont pas réussi à lui enlever. Il les évoque, l’un après l’autre, ces parents, chacun avec son prénom, le numéro de son convoi, la date de son décès puis une petite photo en noir et blanc.

Marie, sa délicate et coquette maman… odeur délicate de son sac à main, mélange de poudre de riz et de rouge à lèvres un peu fondu. Jacques, son papa, violoniste à ses heures perdues… L’instrument qui a miraculeusement traversé les années et échappé au désastre diffuse encore « l’éclat d’une petite comète ». Jacques l’a entendu pour la dernière fois à Birkenau lorsque les chefs nazis ordonnaient à leurs musiciens de jouer au seuil de la chambre à gaz… De Jacques, il sent encore l’odeur de la gomina sur les cheveux ; il se souvient du « petit vertige » quand le géant soulevait son fils de terre et le mettait sur ses épaules…

De Monique, sa petite sœur déportée à quelques mois, il ne lui reste que la gourmette… De Sultana, sa grand-mère, il perçoit toujours le parfum citronné de l’eau de Cologne et l’odeur âcre de la soupe aux poireaux pommes de terre mangée dans une assiette à bords rouges (ce qui lui a donné à jamais la phobie du rouge…) Ce plat ne valait vraiment rien, comparé aux spécialités turques type « l’imam s’est endormi », que la tendre cuisinière mettait tant de soin à mitonner le dimanche matin… De Mercado, le grand-père, emballé dans sa grosse couverture et plongé dans ses livres, il revoit l’ombre qui lui faisait penser à une espèce de vieux sage, à un Mallarmé domestique. Sous le capuchon du grand dossier de son fauteuil, Mercado affirmait tranquillement que personne ne viendrait jamais chercher un seul membre de sa famille et que la rectitude morale et la droiture intellectuelle mettraient toujours les gens honnêtes à l’abri de tous les périls…

 

 

Dosette de lecture n°94 : Marcel Cohen, « Sur la scène intérieure » Du côté de ceux qui jouent pour l’éternité
Commenter cet article