Dosette de lecture n°113 : Éric Vuillard : Tristesse de la terre. La belle Amérique sous les lassos du show
Comment raconter l’Amérique ? Celle des grands espaces, celle des peuples autochtones, des pionniers s’installant dans des contrées souvent hostiles ? Comment contempler l’infiniment petit dans cet infiniment grand comme le fait ce personnage étonnant de la fin du récit : Wilson Alwyn Bentley, photographe traquant inlassablement la forme évanescente des flocons de neige ?
Le parti-pris d’Éric Vuillard est d’examiner avec son regard caustique cette société du spectacle et du show qui a toujours exalté des héros de pacotille, avides de succès et de dollars. Certes, en 2014, il n’écrit pas sur les États-Unis de 2024, mais en retraçant l’ascension sociale de Buffalo Bill Cody, ce « prince du divertissement » devenu « vieux cabotin », « pur produit de marketing, sorte de simulacre », agitateur fanfaron, il donne déjà à voir les élucubrations d’un Donald Trump et décrypte à sa façon tous ces mensonges, ces dangereux récits de paillettes et de pacotille qui forgent un peu trop facilement le corps des légendes.
La « légende », que retrace le Wild West Show du fameux Buffalo Bill se construit à partir de l’histoire racontée chaque soir, devant un public curieux et ignorant, par les acteurs recrutés pour l’occasion. Et qui sont-ils, ces « acteurs » ? Le vieux chef Sitting Bull, des Indiens ayant échappé au massacre, une jeune Indienne rescapée de « la bataille de Wounded knee »… Comme l’écrit l’auteur : « La civilisation est une énorme bête insatisfaite. Elle se nourrit de tout. » Avec la complicité de son impresario, John Burke alias Arizona Burke, Cody, ce glorieux abatteur de bisons excite l’imagination et les bas instincts de ses spectateurs et interprète à sa façon l’ignoble massacre des Indiens.