Dosette de lecture n°115 : François Duplantier : « Et Arthur quitta le train jaune de 5h48. » Un récit mené à un train d'enfer.
Par quels moyens accéder à Rimbaud et à ses "incroyables Florides" ? En suivant, enroulé dans « les voiles de la déesse » la voie de la Grande Ourse ? En descendant les fleuves à reculons ? En entrant dans le Cabaret vert ? En foulant les pierres des chemins et des sentiers dans les « parfums de vigne et les parfums de bière » ? En montant à bord d'un wagon rose ou bien à bord d'un train jaune au départ de Marseille ? Le train de 5h48 par exemple ?
Sous la plume de l'auteur, on y retrouve un cercle "d’intoxiqués" de Rimbaud qui se rendent à un événement très spécial et qui, pour passer le temps et combler ce que Yves Bonnefoy appelle « notre besoin de Rimbaud », battent la semelle de vent... Où donc le poète voyant cherche-t-il à les emmener ? Quelle "porte invisible" les invite-t-il à franchir ? C'est la question que se pose implicitement le romancier qui mobilise ses troupes et le lecteur autour de ce fameux événement parisien : l’ouverture d’une lettre que Rimbaud a envoyée du Harar à Verlaine…
Mais est-ce vraiment là l'essentiel ? N'y a-t-il pas déjà dans ce bateau livre, cette "carcasse ivre de la meilleure eau" matière suffisante à la rêverie ? Le cheminement vaut parfois mieux que le terme. François Duplantier balise ce voyage et cette dérive entre les poèmes et les lettres que le poète devenu aventurier n'a cessé d'écrire. En consultant les uns après les autres les passagers du train, il interroge surtout l’homme qui, après l'avoir fait asseoir sur ses genoux, semble avoir tourné le dos à la Beauté ; le commerçant qui serre son or dans sa ceinture abdominale ; le baroudeur qui parle toutes les langues ; l’explorateur, le photographe, le « reporter » qui examine ce qu’il nomme désormais « la vie réelle » : tribus indigènes, vêtements, bêtes, chameaux, autruches, hyènes...
Par les détours de l’écriture et de l’érudition, le romancier poursuit les traces du « Bohémien », ce « Petit Poucet rêveur" qui, parti un jour pour « trafiquer dans l’inconnu », sème ses cartouches et finit trafiquant d’armes. Dans la première partie de son récit, il dégaine les colts scintillants du poète et tire les balles de sa « prose de diamant » ; dans la seconde partie, il cite les lettres que l'enfant rebelle et fugueur n'a cessé d’écrire à sa mère jusqu'à la fin. Des lettres qui dessinent sur le sable l'empreinte de vent, « le lieu et la formule » indiquant au train jaune quelque chose comme un faux terminus.