Dans l’atelier d’un livre, épisode 15 : le livre comme base de communication
« Un jour, j’avais quatre ans et je savais lire, je ne sais pas comment » m’a confié une lectrice. Cette soudaine révélation rend compte d’une opération de magie du cerveau, capable d’aller au-devant du langage et de la pensée comme s’il devinait à l’avance une potentielle récompense. Il semble que, par instinct, le cerveau va vers ce qui peut le satisfaire, lui apporter du bien-être et même, pour utiliser un terme à la mode, l’augmenter. J’ai eu, à cinq ou six ans pour ma part, la même impression que cette lectrice et je me revois encore déclarer fièrement sous les yeux de ma mère qui ne me croyait pas : « Depuis ce matin, je sais lire ! »
Le livre est prêt à nous nourrir toute notre vie à condition qu’on sache aussi se nourrir de lui, sans quoi il erre à la façon d’un spectre de bibliothèque, farfadet perdu dans un vaste champ de ruines. Il est, comme l’écrit le romancier Michel Tournier : « un vampire sec » en mal du sang d’un lecteur. L’écrivain autiste Josef Schovanec témoigne à ce sujet de l’importance qu’ont eue les livres dans sa formation : « J’ai appris le langage par la lecture et l’écriture ».
Sitôt qu’on prend le goût de lire, il faut le transmettre. Dans nos grandes villes de plus en plus éclaboussées de lumières artificielles, de klaxons et de bêtise, il faut faire circuler les feux follets et ménager ces espaces de silence et de recueillement où l’esprit peut encore s’allumer. Les lecteurs, les professeurs, les libraires, à condition qu’ils soient inspirés, connaissent l’art de libérer un texte et de lui donner une chair et une voix. Alors le livre cesse d’être un ectoplasme, une momie casée à l’intérieur d’un meuble, un objet ratatiné, un produit commercial doté d’un code barre ; il se met à respirer, à palpiter et on a envie de le prendre dans ses mains, de le caresser pour en extraire le malin génie : c’est ce que me fait remarquer, sous forme de boutade, l’une des lectrices qui vante les mérites du concept de « librairie Chat pitre » : je vous invite à la découvrir via le lien suivant : https://youtu.be/D5Hmp15onfk?si=S_TmLbxod_cmpqhw
Quoi qu’il en soit, avec ou sans ronron, derrière une vitrine ou au-devant d’une boite à livres, quand il a trouvé son âme-sœur, le livre est assez vigoureux pour exister et pour aider le lecteur à résister aux menaces de la standardisation et de l’autodafé, aux dangers de l’IA qui voudrait lui enlever sa chair pour la jeter toute crue au brasier de l’amnésie et des totalitarismes. Une lectrice qui connaît mon goût pour la ville de Rome le dit très bien : « L'intelligence artificielle ne pourra jamais comprendre ce que tu ressens lorsque tu es assis sur une terrasse de Trastevere en train de prendre un verre et d'observer ce qui t'entoure, si tu ne lui dis pas... » Sur ces bonnes paroles, je vous invite à vous rendre à la terrasse d’un café, dans l’un de vos lieux favoris, et à ouvrir le livre de votre choix.
La semaine prochaine, nous nous acheminons vers la fin de cette expérience qui accompagnait la naissance de mon livre.